Lir

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Je sens avec horreur les premiers contours flous d'un autre visage se superposer au sien. Je me prends la tête à deux mains, mais les images m'assaillent en m'écorchant au passage, sans que j'aie le temps de les refouler. Ma vue se brouille, et la forêt s'efface progressivement pour laisser place à un décor douloureusement familier. Deux ans en arrière, et ma propre voix suppliante qui résonne dans mes oreilles avec autant de force que si elle sortait en cet instant d'entre mes lèvres.
- NOOOON ! STOP ! ARRÊTE ! Je t'en prie... Ne fais pas ça ! Tu ne peux pas...
Je ne parviens pas à terminer ma phrase, interrompue par le torrent de larmes inondant mon visage et par les tremblements incontrôlables qui réduisent mon corps à celui d'un pantin désarticulé. Cette scène qui se déroule sous mes yeux. Je ne peux pas lui refaire face. C'est irréel n'est ce pas? C'est un mauvais rêve. Juste un mauvais rêve. Pourtant, la douleur cuisante à mon épaule, ma lèvre fendue, les traces de griffures saignantes sur mon avant-bras et mon cœur tambourinant à cent à l'heure ont tôt fait de semer le doute dans mon esprit. Je m'effondre sur le sol de carrelage blanc. Comment est-ce possible..? Comment avons-nous pu en arriver là?
Redressant péniblement la tête, j' observe avec effroi le corps si familier de Kevin se transformer en automate possédé par la violence. Ses yeux couleur miel ne sont plus que deux globes vides et froids, dépourvus de la moindre humanité. Impuissante, je regarde mon petit ami se fondre dans la peau d'un monstre sans cœur. Et je vois ces mains, ces mains autrefois si douces et protectrices, saisir mon père par le col de sa chemise, et lui administrer un violent coup de poing à la mâchoire.
- NON...! PAPAAAAAA...!
Ce-dernier titube avant de s'affaler lourdement sur le sol, respirant à grand peine.
Impassible, son agresseur le roue à présent de violents coups au torse qui lui arrachent d'horribles gémissements. Pétrifiée, je m'arrache difficilement à la torpeur, rassemble mes dernières forces, inspire longuement pour tenter d'apaiser soubresauts de mon coeur, puis je m'empare de l'unique vase rescapé, et m'apprête a commettre l'irréparable.
Je l'aimais... Nous étions fait l'un pour l'autre. Enfin, je le croyais.Tout en me traînant sur le sol jonché de débris de verre, je ne peux empêcher les innombrables clichés de nous deux de m'assaillir sous leur poids, sous le remords, sous la rancœur. Toutes ces promesses auxquelles on peut croire quand on prend la vie pour un longue fleuve tranquille plutôt que pour une immense mer déchaînée. Et tout part en fumée, tout s'est évaporé. En l'espace de quelques secondes, le garçon que je pensais connaître depuis une éternité s'en est allé. Et si il n'avait jamais existé ?
Je lâche le vase.

Doués pour survivreOù les histoires vivent. Découvrez maintenant