Chapitre 16

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- Entrez !
Ça commence bien.
~
J'ouvre la porte avec précaution, comme si elle pouvait se briser en mille morceaux si j'étais trop brusque. Je m'avance timidement. J'ai un noeud dans la gorge. Si elles étaient méchantes ? Je me reprend vite. Quelqu'un qui a vécu les même choses que moi ne peux pas être méchant, juste brisé. Je croise quand même les doigts dans mon dos, peut-être la chance sera-t-elle avec moi, pour une fois. Je repousse mes appréhensions d'un signe de la tête à peine perceptible, et je lance:
- Bonjour...
Une fille aux cheveux bleus, tatouée et percée de partout, lève la tête avec un air dédaigneux peint sur le visage. C'est peut-être comme ça qu'on se salut ici.
Une brune, dont je devine que c'est l'autre nouvelle par sa mise en beauté douteuse, vient vers moi, un grand sourire aux lèvres:
- Salut ! J'm'appelle Ève, et toi ?
Je lui souris à mon tour en répondant:
- Je m'appelle Rose.
Soudain, elle se fige, comme frappée par la foudre. En une demi-seconde, elle retrouve son air enjoué et dit:
- Rose comme dans Titanic ?! C'est mon film préféré ! Je sens qu'on va être copines toutes les deux.
Elle est tellement mignonne. Mignonne comme un bébé avec de grosses joues et des petits pieds potelés et tout doux, vous voyez ?
- Je l'espère. Moi aussi j'adore ton prénom, c'est mon préféré. Quand j'étais petite j'avais appelé ma poupée préférée comme ça !
Je n'ai jamais eu de poupées quand j'étais enfant, mais ça a l'air de lui faire plaisir, et Ève est vraiment mon prénom préféré.
- Tu parles ! Mon premier copain au collège s'appelait Adam. Même les profs se foutaient de nous...
- Vu comme ça...
Elle me fait vraiment penser à une enfant. Elle raconte tout, sans retenue, comme si elle avait oublié pourquoi on est là.
- Ah, oui ! Elle, m'explique-t-elle en désignant la fille aux cheveux bleus, c'est May. Il faut lui pardonner ses sautes d'humeur. Tu sais les femmes enceintes...
- Ta gueule. la coupe May.
Je ne l'avais pas remarqué avant, tant elle était recroquevillée sur son lit, mais maintenant qu'elle est relevée, je distingue clairement son ventre rond, elle doit en être à 5 ou 6 mois.
- Ok. On va la faire courte, j'ai pas que ça à faire. Premièrement, vous attendez pas à ce que tout vous tombe tout cuit dans le bec. C'est nous qui faisons tout ici. La bouffe, le ménage... Z'ont pas d'employés, à part ces espèces de clowns qui sont censés être psys.
Elle a l'air de ressentir une aversion toute particulière pour les psys et tout ce qui a un rapport avec eux qui ne peut qu'avoir naquit d'un événement marquant. À creuser.
- D'ailleurs, pour les fragiles, ils animent tout les lundi une réunion où on est censé parler de ce qui nous est arrivé, de comment on s'en sort. Je vous préviens, si je vous vois à c'te truc, j'vous parle plus. On côtoie déjà assez ces golios pour leur raconter notre vie.
Réctification: May ressent 'une aversion toute particulière' pour tout le monde.
- Autre chose, continue May, si vous avez des problèmes où que vous êtes embarquées dans des histoires, n'en parlez surtout pas à votre conseiller. J'ai cru comprendre que la votre était Miss Scott. Pas méchante, mais complètement folle. D'ailleurs, heureusement qu'ici elle porte une blouse, sinon ça ferait mal aux yeux.
Elle reluque notre tenue, un sourire moqueur aux lèvres. Tout ce qu'elle a dit sur Miss Scott n'est pas tellement faux, mais l'entendre parler mal d'elle me met dans une colère mêlée de tristesse. Comme quand vous entendez une conversation censée être secrète sur quelqu'un de votre famille ou un être cher, et qu'on l'insulte ouvertement. Vous êtes partagé entre le coeur: aller en parler à la victime de ces insultes, et aller dire deux mots aux gens qui en parlait si mal; et la raison: oublier ce que de toutes façons vous n'auriez pas du entendre, après tout, ce ne sont pas vos affaires, et ça pourrait blesser l'intéressé.
J'opte pour la raison. Et puis de toutes façons, May à l'air de détester tout le monde.
- Venez plutôt me voir, continue cette dernière, j'ai pas vraiment de potes ici, mais plutôt ce qu'on pourrait appeler "des contacts". Des personnes plutôt influentes.
J'imagine bien May dans la Mafia. Ouais, May traficante, ça me plaît.
- Donc on tape sur personne, surtout qu'on peut faire bien pire...
- Grâce aux contacts ? demande timidement Ève.
May souris et dit dans un soupir:
- T'as tout compris... Une dernière chose. J'ai un projet, je peux pas en dire plus pour le moment. J'ai besoin de savoir si je peux vous faire confiance.
- Quel genre de... projet ? Je me risque à demander.
Les traits de May se durcissent et son visage prend un air désapprobateur.
- T'écoutes quand je parle ?! Je, ne, peut, rien, dire, dit-elle en détachant chaque mot. Ça commence mal, la carotte...
Tant de souffrances endurées à cause de mes cheveux blond vénitien...
Même si je trouve May antipathique au possible, le fait qu'elle veuille nous protéger avec son histoire de contacts, et une autre chose, dont j'ignore tout, me force à éprouver un sentiment de respect, d'admiration, envers May. Peut-être est-ce sa grossesse ? Le fait qu'elle s'en sorte si bien, après tout ce qui s'est passé ?
Je ne sais pas. Mais ce que je sais, c'est qu'une force inconnue me pousse à vouloir être son amie.

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