Lorelei

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Sparte, 2018 :

Je suis consciente, enfermée dans mon propre corps, depuis si longtemps que j'ai cessé de compter. J'ai l'impression que des millénaires se sont écoulés. Mais c'est impossible ; la guerre contre les Naïades ne peut pas durer à ce point. Ma Reine m'a sûrement endormie il y a quelques mois, un an tout au plus. Seulement, à force de passer tant de jours, de semaines, seule, inerte, à demi-morte, sans contact quelconque avec le monde extérieur, ma notion du temps a dû se distordre. A moins que ma Reine ne soit... Non ! je refuse de penser une chose pareille ! Elle n'est pas morte, point final !

-...nous entend... et... peut-être... on... pas... tu crois...

Oh, non... Les voix. Je deviens folle. J'entends des voix ! Ma Reine me réveille ?! la guerre est-elle finie ? les Ondins ont-ils survécu ? les Naïades... ?
Puis, plus rien. J'ai fabulé. Mon esprit a imaginé ce qu'il vient de se passer. Je suis encore coincée ici pour un bout. Super. Maintenant, je pleure ! Une minute. Je sens des larmes dévaler mes joues. Ce n'est pas normal. Une main vient effleurer mon visage. Je... je suis en train de me réveiller ! C'est aujourd'hui ! Je dois ouvrir les yeux. Je n'y arrive pas. La frustration me fait gémir à nouveau. Ma gorge me brûle, mais je... j'arrive à produire des sons. J'essaie autre chose.

-Ce... c'est... ter... terminé ?

Ma voix est chevrotante, mais je parle ! Je parle ! Allez, Lorelei, ouvre les yeux. Tu peux le faire. La lumière me crame la rétine. Ça fait mal. Terriblement mal. A tel point que je me mets à suffoquer.

-Chut... ça va passer, ma fille, ça va passer, murmure un timbre rassurant et familier que je ne reconnais pas immédiatement.

Ma Reine ! Je ne peux pas être si faible devant elle ! Je me fiche d'avoir la sensation de me consumer de l'intérieur ! Je me redresse brusquement, retenant une grimace, et la contemple. Elle ressemble à celle qu'elle a toujours été. Mais l'inquiétude que je lis dans son regard me fait frémir. Avant, au moins, ma Reine était fière de moi. A présent, je l'inquiète. Je suis sans aucun doute la pire de ses filles ! Elle semble souffrir pour moi. Je me déteste de lui faire subir une telle horreur. Je ne suis qu'une ingrate !

-Je suis réellement désolée, ma Reine, m'exclamé-je. Excusez-moi, je vous en supplie.

Je baisse la tête. Je n'ose même plus croiser ses perles d'opale. J'ai bien trop honte.

-Ma fille... tu n'as rien fait de mal.

Ma Reine... Toujours aussi bienveillante et douce. Sa bonté n'a d'égal que sa beauté. Je suis monstrueuse de lui avoir causé du tort.

-Approche, ma fille.

Elle me prend dans ses bras, et j'y sanglote. Je n'y peux rien ; c'est l'amour que je lui porte. Elle caresse mes cheveux en m'étreignant. Lorsqu'elle me relâche en souriant, je ne vois qu'elle, et le bonheur sur son visage. Ma Reine est magnifique.

-Lorelei, je dois t'avouer quelque chose.

Elle paraît soucieuse. Je ne veux pas qu'elle le soit.

-La guerre n'est toujours pas terminée.

Je n'ai donc pas dormi bien longtemps. Peut-être... oh, je sais ! Ma Reine a réfléchi, et elle accepte d'aider les Ondins ! C'est forcément ça !

-Depuis le début de la guerre, les Naïades traquent les Ondins. Beaucoup d'Ondines se sont réfugiées chez nous, mais...

-Et les Ondins ? Oh, excusez-moi, ajouté-je.

Elle m'adresse un sourire affectueux.

-Il ne reste plus qu'une vingtaine d'Ondins. Et... j'ai décidé que nous allions les protéger.

Je le savais ! C'est la meilleure chose à faire.

-J'aurais dû t'écouter, Lorelei. Alors, tu te chargeras de l'un d'eux.

-Oh, ma Reine, merci infiniment !

Elle détourne le regard. Comme si... non, c'est idiot ; elle ne peut pas avoir quelque chose à se reprocher.

-Ma fille... j'ai mis plus de temps que tu ne le crois.

Ah. Bon. Quelques années, ce n'est pas bien grave, après tout.

-Tu as dormi plus de deux mille ans. Les Naïades ont tué tous les dieux.

J'ai du mal à respirer. J'ai forcément mal entendu. Mais, à la voir, je sais que non. Plus de deux mille ans... Alors, ma notion du temps va très bien. Je crois que je vais vomir. Calme, Lorelei, calme. Tout va bien. Bien sûr que non ! Rien ne va !

-Je suis désolée, ma fille.

Pourquoi s'excuse-t-elle ? Ma Reine avait obligatoirement une raison. Cette fois-ci, c'est moi, qui lui offre un sourire bienveillant.

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