Lorelei

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Lorsque ma Reine m’a appris que je protégerais l’un des rares Ondins, je suis devenue euphorique. Elle m’offrait sa confiance. Sauf qu’à présent, je suis désespérée. J’ai affaire à un délinquant juvénile franchement irritant. Elias Ondin veut jouer au plus malin ? Très bien. Moi, lorsque je ne suis ni avec mes sœurs ni avec ma Reine, je suis une guerrière féroce.

-Mais c’est les vacances, s’exclame-t-il.

Les vacances ? Ce doit être l’un des nombreux concepts qui sont apparus pendant mon sommeil. Je crois qu’Adrianne m’en a parlé. Un arrêt de travail, me semble-t-il. Complètement idiot, à mon avis. Pourquoi cesser de travailler ?

-Pas pour nous. Demain matin, sept heures.

Son expression ahurie me prouve quelque chose : cet adolescent paresseux va me taper sur les nerfs. Il commence à protester, mais je le coupe d’un geste sec de la main.

-Sois prêt à partir à sept heures pétantes. Ah, et inutile de prendre un petit déjeuner.

Il a déjà passé beaucoup trop de temps à se nourrir comme un humain. C’est mauvais pour son organisme ondin. Ça l’affaiblit. Enormément. Je ne comprends pas qu’on l’ait laissé chez des humains. Ils auraient dû l’envoyer avec les siens. 
Je me retourne pour partir, mais je sens des doigts chauds m’agripper le bras droit. Je frémis. Mon peuple et moi évitons au maximum les contacts avec les hommes. Et je ne fais pas exception à la règle. Me battre contre eux, les tuer, ça fait partie de moi, de mon héritage. Mais entretenir une relation… c’est impossible.

-Donne-moi au moins ton âge.

Comment lui dire que j’ai plus de deux mille ans ? Pour l’instant, je ne peux pas. Alors, je me contente de lui dévoiler l’âge que j’avais avant de m’endormir.

-Dix-sept ans.

L’étonnement marque son visage. Je ne comprends pas. Lui aussi, pourtant.

-Tu peux être éducatrice, à dix-sept ans ? Tu n’es pas trop jeune ?

-A priori, non.

Cette fois-ci, je m’en vais. J’appelle un Griffon pour rentrer à Sparte. Là où nous vivons. Ma Reine veut me voir. Je ne sais toujours pas pourquoi. Mais je ne m’en plains pas. J’adore passer du temps avec elle. Elle m’apprend toujours des tas de choses.

-Lorelei, notre Reine t’attend au Temple.

Le Temple se situe dans la Ville, qui se trouve elle-même dans une portion cachée de Sparte. Seules nous pouvons y accéder. C’est une précaution que mes ancêtres ont prise. Aujourd’hui, cette protection est plus qu’utile. Elle nous permet de protéger des Ondins. Ceux qui connaissent leur véritable nature viennent chez nous. Ils s’entraînent jusqu’à être aptes à vaincre les Naïades. 
A l’entrée du Temple trône une représentation de la seule déesse que mon peuple ait un jour admirée ; Artémis. La Chasseresse. Après la tuerie qui a éliminé presque tous les dieux, elle a disparu. Nous espérons encore qu’elle soit vivante, mais ça nous paraît de plus en plus surréaliste ; elle était prête à donner sa vie dans la bataille.

-Bonjour, Lorelei. Comment s’est déroulée l’entrevue ?

-Bonjour, ma Reine. Je dois dire que vous m’avez choisi un Ondin qui risque fort de me poser problème.

Une ride d'inquiétude se creuse sur son front. Alors… ma Reine vieillit. J’observe ses cheveux ; un cheveu blanc sort de la masse sombre dont nous avons -avions, à présent- toutes l’habitude. Ça ne peut signifier qu’une chose : son temps touche à sa fin. D’ici quelques jours tout au plus, elle devra désigner l’une de ses filles pour devenir la nouvelle Reine. Et, le soir où la lune sera entière dans le ciel, elle lui passera le pouvoir et s’éteindra à jamais. J’ai du mal à accepter cette vérité pourtant indéniable. Parce qu’elle me rappelle que j’ai passé plus de deux mille ans à dormir, alors que j’aurais pu -j’aurais dû- me taire et passer ce temps avec elle.

-J’ai confiance en toi, ma fille. Mais je ne t’ai pas fait venir pour ça… Comme tu as pu le remarquer, je vieillis. Je voudrais que tu me succèdes.

Je ne sais que dire. C’est un honneur immense, mais je ne suis pas sûre d’avoir l’étoffe d’une Reine. D’autant plus que j’ai la protection d’Elias à assurer.

-Ne crains rien, Lorelei ; tu feras une excellente Reine.

-Mais vous… vous allez mourir ! N’y a-t-il rien à faire pour vous sauver ?

Elle m’observe, bienveillante. Je ne peux pas y croire. Je ne veux pas y croire.

-C’est la règle, ma fille. J’ai bien vécu. Je regrette simplement que nous n’ayons partagé plus de moment, toi et moi.

Moi aussi. A un point que personne n’imaginerait. Je n’ai pas connu ma mère ; elle est morte prématurément. On ne m’a jamais dit pourquoi. Dans mon peuple, une Reine est une mère pour toutes les autres. Alors, forcément, perdre ma Reine revient à perdre ma mère. Et ça me briserait le cœur.

-Si ce n’est pas toi, ce sera une autre, ajoute-t-elle. Je préfère que ce soit toi. Bon, reprend-elle gaiment au bout d’un temps, parle-moi un peu de ce garnement qui te donne tant de fil à retordre.

Elias. Elias Ondin. C’est le nom de famille règlementaire des Ondins. Les Ondines, elles, plus nombreuses, l’ont au féminin. Encore heureux. Il ne manquerait plus qu’elles prennent un nom masculin !

-Suffisant, inconsistant, arrogant, énuméré-je.

-Ah, les hommes !

D’un regard complice, nous éclatons de rire. C’est une blague qui rend notre peuple hilare depuis des millénaires. A l’époque où les Naïades ne s’étaient pas encore révoltées contre les dieux, ma sœur Adrianne et moi avions l’habitude de nous la raconter tous les matins avant l’entraînement. C’était notre façon de nous dire au revoir ; elle s’exerçait avec les Bêtas, et moi, avec les Alphas. Cette période me manque. Pendant mon état de conscience immobile, j’ai beaucoup pensé à elle. C’est normal, après tout ; Adri est ma meilleure amie. Heureusement, depuis que je me suis réveillée, j’ai pu la revoir.

Protect HimOù les histoires vivent. Découvrez maintenant