Lorelei

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Elias a passé tout le voyage collé à moi. Je n'allais pourtant pas si vite ! Peut-être la nourriture humaine l'a-t-elle affaiblit plus que je ne le croyais. C'est problématique, parce que ça fait de lui une cible extrêmement facile. Assurer sa protection ne me dérange pas ; c'est ce qui est juste. Mais savoir qu'en mon absence, il ne sera peut-être pas capable de se défendre d'une Naïade me préoccupe. Il faudra que j'en fasse part à ma Reine. Et dire que je la remplacerai bientôt...

-Lorelei ? m'appelle Elias. Qu'est-ce qu'on fait ici ?

Ah. Oui. L'entraînement. C'est vrai.

-Tu vois la cabane, là-bas ? Cours-y le plus vite possible, dis-je après qu'il a acquiescé.

-Mais... c'est super loin !

-Pas tant que ça. Allez, vas-y !

Il me fixe, l'air ahuri, comme pour essayer de deviner si je plaisante ou non. À mon époque, on ne blaguait pas sur de tels sujets. Mais mon époque est passée depuis bien trop longtemps pour que je m'y fie.
Finalement, après avoir vraisemblablement compris que j'étais on ne peut plus sérieuse, il se décide à obéir. Honnêtement, je ne m'y attendais pas. Je l'imaginais plutôt me faire une crise de rébellion.
Il court assez vite, mais pas très bien. À ce rythme-là, il s'épuisera trop rapidement. Il ne s'appuie que sur sa jambe droite, alors qu'il devrait utiliser les deux. Il risque une blessure. Et, s'il croise une Naïade en chasse, ça pourrait lui être fatal. Ah, il a atteint la maisonnette. D'un signe de la main, je lui intime de revenir.

-Tu cours vite, mais pas correctement. Tu vas te fatiguer en un rien de temps. Ta jambe droite est beaucoup trop sollicitée ; tu pourrais te faire mal. Il faut que tu répartisses ta masse sur tes DEUX jambes. Tu dois regarder vers l'avant, pas vers tes pieds. Relâche les muscles de tes bras et de tes mains. Détends tes épaules. Sinon, tu ne respireras pas assez. Ne rebondis pas. Ça ne sert à rien à part gaspiller ton énergie.

-Tu cours beaucoup, toi ?

Il vaut mieux que j'évite de lui dire à quel point j'ai passé ma vie m'entraîner.

-Pas mal, oui. Recommence.

-Viens avec moi.

Pourquoi ? C'est la seule chose qui me vienne à l'esprit. Je hausse un sourcil.

-Pour corriger ce qui ne va pas.

C'est une bonne idée. Je vais simplement devoir courir à son rythme.
J'acquiesce, et nous commençons. Son pas est plus souple, sa masse plus équilibrée, et ses bras plus détendus. Ses épaules sont toujours un peu trop en avant. Sa respiration, en plus d'être restreinte par cette position, est à peine superficielle. Trop peu d'oxygène entre dans son corps. Il ne pourra pas tenir très longtemps comme ça. Lorsque nous retournons à la moto, je lui explique comment bien inspirer et expirer.

-Dis-moi, Lorelei...

-Oui ?

-Pourquoi tu m'entraînes ? Je veux dire, tu sais ce que je fais de ma vie, et je doute que les Freeman se soient évertués à te trouver pour me rendre plus performant dans ce domaine.

C'est très juste. À vrai dire, ses parents adoptifs ne me cherchaient même pas. Mais j'ai habilement suggéré à son assistante sociale de me présenter à Margaret et Henri Freeman.
La question à se poser est : dois-je lui dire la vérité ? Il ne me croira pas. Si je l'emmène devant une source d'eau... non, une Naïade pourrait s'y trouver. Ce serait prendre un risque inutile. Mais comment le convaincre que je dis la vérité ? Il n'y a qu'un seul cours d'eau qui soit totalement sans danger... et il se trouve à Sparte. Au tout début de la guerre, mon peuple a protégé une rivière. Une seule. Ma Reine avait dû sentir que ça nous aiderait. Un autre problème pointe le bout de son nez : comment vais-je l'emmener en Grèce sans l'effrayer ? Moi, j'ai l'habitude de voyager avec mon Griffon, mais ce n'est pas le cas d'Elias.

-Lorelei...?

-Comment te sens-tu lorsque tu te trouves près de l'eau ?

Perplexe, il ne répond pas immédiatement.

-Ça a quelque chose à voir avec mon signe astrologique ? Parce que je suis Verseau. Mon amie m'a dit que c'était un signe d'air. Donc il faut que tu me demandes si je sais voler.

Oh, par Artémis ! mais qu'il est bête. Pile au moment où je commençais à penser qu'il avait une cervelle, il me prouve le contraire. Cet idiot se prend pour un oiseau.

-Non, tu ne sais pas voler, réponds-je de la même façon que si je parlais avec un enfant de quatre ans -ce qui, à peu de choses près, est le cas.

-Oh, mince, alors !

-Arrête de faire le malin ; ce que j'ai à te dire est capital.

Avec un sourire ironique, il lève les mains en l'air, comme pour prouver son innocence. Pourtant, je sais que j'ai piqué sa curiosité.

-D'abord, tu dois répondre à mes questions. Comment te sens-tu lorsque...

-Ça va, j'avais entendu la première fois, me coupe-t-il, irrité.

Je n'arrive pas à croire qu'il se permette de se montrer irrité. Pour qui cet adolescent arrogant se prend-il ?

-Je me sens bien. Mieux qu'ailleurs, généralement. Comme si... comme si j'étais à ma place.

Comme toutes les créatures de l'eau, il s'y sent chez lui.

-Et lorsque tu vois qu'elle est salie et polluée ?

-Ça m'énerve. Beaucoup. J'ai enviede tuer ceux qui ont fait ça.

Encore une fois, comme toutes les créatures de l'eau.

-Ce que je m'apprête à te dire ne sera pas facile à entendre. Ni même à croire. Mais tu dois me faire confiance. C'est très important.

Définitivement intrigué, il a cessé de gigoter pour me faire face.

-Tu n'es pas humain.

Protect HimOù les histoires vivent. Découvrez maintenant