Lorelei

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J'aurais dû être plus vigilante. Mais je n'ai pas le temps pour les innombrables regrets qui menacent de m'assaillir. Je dois protéger Elias. C'est ma mission. Les Naïades ne l'auront pas si facilement. J'en fais le serment.

-Tiens, tiens, tiens... Lorelei, ma belle, tu es de retour. Tu t'es bien reposée, j'espère ?

Cette voix, je ne la connais que trop bien. Lorsque je me tourne, ce que je vois confirme bien mes certitudes. Elle est revenue, armée comme à la guerre, le regard enragé et les bras couverts de cicatrices. Je lui en ai infligé certaines. Son visage, de la même façon qu'à l'époque, demeure intact.

-Aelys.

-Vous..., commence Elias, la voix chevrotante, vous vous connaissez ?

J'en avais presque oublié Elias. Aelys a toujours été capable de me détourner de mes principales occupations.

-Nous nous connaissions, corrigé-je.

-Effectivement, Lorelei. Je ne sais plus qui tu es. La Lorelei de mes souvenirs ne se serait jamais abaissée à protéger un homme.

-"Protéger un homme" ? répète le concerné. Ça veut dire quoi, ça ?

-Oh, il n'est pas au courant ?

-Ce n'est pas comme si tu n'avais pas non plus changé.

À l'époque, Aelys était ma tutrice. Elle m'enseignait la pratique de la guerre. Toutes les filles de mon peuple ont une tutrice attirée. Sauf si elle finit par la dépasser. Aelys n'a pas supporté. Elle avait déjà pour projet de nous quitter, mais c'a été la goutte de trop. Elle nous a trahies pour s'allier aux Naïades. Elle a massacré des centaines d'Ondins.

-Je t'ai connue plus subtile, ma chère, déclare-t-elle, narquoise.

-Lorelei, dis-moi ce qu'il se passe ! exige Elias.

Je souffle un bon coup.

-Nous n'avons pas le temps.

-Je te rejoins sur ce point, Lorelei, rebondit Aelys en regagnant son sérieux. Nous devons passer à ce qui m'amène ici.

Elle marque une pause qui nous permet de nous mettre en place.

-Elias, éloigne-toi. Je ne pourrai pas me battre si je dois veiller sur toi.

Sous le choc, il commence par rester paralysé. Il faut que je sorte ma lance  pour qu'il se décide à m'obéir. Soit. Je le vois courir et trébucher. Puis, je reporte mon attention sur Aelys. Je ferme les yeux et inhale une grosse bouffée d'oxygène.

-Conservons tout de même nos manières de politesse, Aelys.

Elle ricane.

-Évidemment.

Trois pas en arrière, un en avant, nous nous inclinons, les mains jointes autour de nos armes respectives. Ma lance, que j'ai surnommée Chasseresse, contre la sienne, Vengeresse.

-C'est parti ! Susurre-t-elle.

Je ne me précipite pas sur elle, à son instar. Nous décrivons un cercle parfait, les yeux dans les yeux. Ses cheveux blonds virevoltent autour de son visage, le fouettent, cachent son regard enragé de guerrière impitoyable.
Puis, elle attaque. Sa lance ne m'effleure pas, mais, pour l'avoir étudiée, je connais sa technique. Elle commence toujours par des coups faciles, évidents. Ses adversaires baissent la garde. C'est là qu'elle les embroche sur Vengeresse.
Moi, j'analyse mon opposant, j'examine ses gestes, j'inspecte son armure, je trouve sa faiblesse. Avant, celle d'Aelys était son genou droit. À présent, je dois admettre qu'il est tout aussi opérationnel que l'autre. Son épaule gauche, toutefois, présente des signes de fatigue. Lorsque je la pique de la pointe de ma lance, sa résistance commence à s'épuiser, à s'étioler. Sa défense se fait plus lasse, plus molle. Ses mouvements sont alourdis par un poids dont je n'ai pas connaissance. Je lui porte un coup fatal en plantant l'extrémité de Chasseresse dans sa cuisse, puis dans l'autre. Elle s'écroule dans un cri de douleur. J'entends celui, outré, d'Elias. Je m'occuperai de son cas plus tard.
Je m'approche de mon ancienne tutrice, la toisant de toute ma hauteur.  À terre, haletante, elle tente de fuir. Mais, dans cette joute, il n'y a pas de place pour la fuite. Je cogne ses côtes de ma chaussure pour l'empêcher de gigoter. Ses yeux saphir me supplient de l'épargner. Aelys ne tarde d'ailleurs pas à me prier de la gracier :

-Lorelei, oublierais-tu ce que nous avons vécu, toi et moi ? Tu ne peux pas me tuer ! S'il te plaît ! Je suis et serai toujours ta tutrice ! La première à avoir cru en toi. Laisse-moi la vie sauve. J'aurai une dette envers toi !

C'est tentant. Ne pas tuer Aelys l'est tout autant. En tant que guerrière, je n'ai aucun problème à achever mes ennemis. Toutefois, anéantir celle qui a un jour été une sœur est toujours douloureux.
Pourtant, j'élève Chasseresse au-dessus de sa poitrine, ferme les yeux, et me remémore le précepte que mon peuple apprend dès l'enfance :
À la guerre, il n'y a pas de place pour les sentiments.

-Tu devrais savoir que l'empathie n'est pas le maître-mot de mes combats.

-Non ! Lorelei, je t'en supplie !

-Je suis une Amazone. Et tu devrais savoir que les Amazones sont impitoyables, déclaré-je avant d'abattre ma lance sur elle.

J'aurais cru cela plus difficile. D'ailleurs, je croyais qu'elle viendrait accompagnée.

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Ça y est ! Vous connaissez enfin le nom du peuple de Lorelei ! Qui s'en doutait ?

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