Elias

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Je dois rêver. C'est la seule possibilité. Lorelei ne peut pas avoir tué cette femme sous mes yeux. Elle n'a pas sorti cette lance de sa botte.
J'inspire profondément.

-Elias ? On doit partir. Viens.

Sa voix me sort de mes pensées. Je n'ai pas halluciné : Lorelei a bel et bien du sang sur les mains. Au sens propre comme au figuré. Ma prétendue tutrice est une meurtrière, une criminelle.

-Éloigne-toi de moi, s'il te plaît.

Elle lève les yeux au ciel en soufflant. Réaction, selon moi, plutôt inappropriée.

-Maintenant, tu vas m'écouter. Je ne compte pas te découper en morceaux et les éparpiller dans les bois, même si, actuellement, je trouve cette idée plutôt tentante. Je suis ici pour te protéger, d'accord ? Pas pour te manger tout cru. D'ailleurs, je ne mange pas de viande. Mais c'est une autre histoire.

Me protéger ? Elle délire. Peut-être qu'elle est folle et que son cerveau malade invente des excuses aux meurtres qu'elle commet... Ça me paraît logique.
Il reste pourtant un détail : la lance. D'où l'a-t-elle sortie ?

-Tu es l'un des derniers survivants de ton espèce. Les Naïades -des nymphes des eaux- massacrent ton peuples depuis des millénaires.

Les Naïades... Ce nom me dit quelque chose. C'est étrange. Je l'ai déjà entendu quelque part, mais je ne sais pas où...

-Si elles te trouvent, elles te tueront. Mon peuple, les Amazones, a décidé de protéger les derniers Ondins.

Ondins... C'est mon nom de famille, ça, pas un soi-disant peuple. D'ailleurs, les Amazones n'existent pas. Wonder Woman n'est qu'une histoire inventée de toutes pièces.

-Je vais rentrer chez moi. Ne m'approche plus.

-Je suis d'accord avec la deuxième partie, déclare une voix qui m'est inconnue. En revanche, tu vas devoir attendre un petit bout de temps avant de regagner ta chère petite maison.

Lorelei se retourne d'un bond, prête à en découdre à nouveau. Quant-à-moi, je reste pétrifié. La jeune femme aux longs cheveux d'argent qui se tient devant moi est... magnifique. Envoûtante. Si une force obscure ne m'en empêchait pas, je me jetterais à ses pieds en la suppliant de m'aimer.

-Castalia, salue Lorelei, que je soupçonne désormais d'être bien plus sensée que moi.

-Lorelei. Je vois que tu n'as fait qu'une bouchée d'Aelys.

-Je me doutais bien que tu viendrais.

Ladite Castalia sourit, et une nuée de papillons s'envolent dans mon ventre. Ses dents blanches, parfaitement alignées, m'éblouissent au point que j'en perdrais la vue.

-Où est ton cortège ? demande Lorelei.

-Je suis là en Naïade solitaire.

Ma tutrice hausse un sourcil, sceptique. Puis, elle se tourne vers moi. Ses beaux yeux gris perle me font oublier ceux, d'un bleu azur, de Castalia.

-Les habitudes se perdent, conclut-elle.

-Il est vrai qu'à l'époque, tu n'aurais jamais mis ta vie en danger pour un homme.

C'est la deuxième fois que j'entends parler de ça. D'abord, Aelys. Maintenant, Castalia. Et, étrangement, le mot "homme" sonne toujours comme une insulte. D'après ce que j'ai lu de Wonder Woman, je sais que les Amazones ne sont pas les plus grandes admiratrices des hommes. Mais je ne pensais pas que ce dégoût était si poussé.

-Ça suffit, avec ça ! Moi aussi, je veux comprendre ! m'écrié-je.

La Naïade, puisque c'est bien l'une d'elles, m'étudie, amusée. Lorelei, elle, semble consternée. Et agacée. Enfin, je ne devrais même pas le relever : elle me regarde toujours avec cet air irrité.

-Oh, il n'est pas au courant ? Ça veut dire que je peux le tuer sans prendre la peine de l'interroger ! s'exlame-t-elle, toute guillerette.

Je n'avais absolument pas prévu ça. Et, à voir l'expression de Lorelei, elle non plus.

-Tu ne me laisses pas le choix. Je vais devoir botter tes fesses de Naïade, déclare-t-elle, un sourire en coin.

J'aimerais bien voir ça. Hum-hum...

-Quand je t'aurai battue, je tuerai ton cher petit Ondin. J'enverrai quelques-uns de vos doigts aux Amazones.

-On va voir ça, Castalia.

Elles se mettent en position, et... elles vont beaucoup trop vite pour que je capte quelque chose ! Mes yeux de pauvre mortel ne peuvent pas suivre leur rythme. Ce qu'ils sont capables de remarquer, en revanche, c'est le sang qui s'amasse au sol.
Soudain, Lorelei, désarmée et épuisée, est à terre, la pointe de la lance de Castalia sur sa poitrine. Ma vue se brouille, mes mains deviennent moites, mon cœur se serre. Un instinct que je ne me connaissais pas me pousse à lever les bras vers la Naïade et l'Amazone. En quelques secondes, des torrents d'eau nous tombent dessus. L'eau... l'eau est sortie de moi ! Je... moi... comment...?

-Espèce d'idiot, crie Lorelei.

Cette dernière semble d'ailleurs se porter comme un charme. Comme si... comme si elle n'avait jamais été à la merci de Castalia. Celle-ci est au maximum de sa force. L'eau... l'eau l'a revigorée. Évidemment. C'est une Naïade. C'est sûrement elle qui m'a fait croire à la faiblesse de ma tutrice.

-Je ne peux pas combattre une Naïade sous l'eau !

-Moi, si, affirmé-je.

-Non ! Elle va te tuer !

-Lorelei a raison. Mais viens donc te mesurer à moi, petit.

Finalement, je ne suis plus très sûr de vouloir les interrompre...

-Ça suffit, ordonne un timbre masculin qui m'est étrangement familier.

Lorelei, les yeux écarquillés, se fige, tandis que Castalia, ébahie, trébuche avant de disparaître dans une gerbe d'eau. Lorsque je me tourne vers le possesseur de la voix, je suis stupéfait : je croirais me regarder dans l'une de ces applications vieillissantes. Les mêmes cheveux blonds, les mêmes yeux bleu azur, le même nez droit, la même mâchoire carrée. C'est, à quelques rides près, mon sosie. Ma mère m'a toujours dit que j'étais le portrait craché de mon père...

-Merci pour le coup de main, mais c'est un peu tard.

-Je n'en doute pas. Lorelei, tu veux bien...?

-Je vais faire un tour. Sécuriser le périmètre.

Sur ces mots, elle s'éloigne précipitamment, me laissant seul face à mon père.
Je le sens mal.

Protect HimOù les histoires vivent. Découvrez maintenant