Elias

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Sept heures du matin... Cette Lorelei Kynigos veut que je me lève à cette heure-là. Margaret et Henri ont déjà essayé, mais rien à faire ; personne ne me réveille si tôt. Sauf Harley. Toutefois, j'ai l'intime conviction que Lorelei ne m'a pas demandé -ou plutôt : ordonné- d'être prêt pour m'emmener braquer une banque. Donc, je vais dormir jusqu'à... onze heures. Oui, c'est bien. Comme ça, Lorelei comprendra qu'elle n'a aucune prise sur moi.
Enfin, j'aurais aimé dormir jusqu'à onze heures. Que ce soit un coup du hasard ou une connerie psychologique, je n'ai pas fermé l'œil de la nuit. Deux options se présentent à moi : me préparer pour l'arrivée de mon "éducatrice", ou rester dans mon lit douillet à glandouiller. La deuxième me semble être la bonne. Au diable Mlle Kynigos !
Alors que je viens de trouver la meilleure position au monde, j'entends la sonnette de la maison des Freeman retentir. Le bruit me fait l'effet d'un coup de tonnerre dans les oreilles. Quel genre de personne sensée vient sonner chez les gens à... six heures quarante-deux du matin ?!
Margaret et Henri parlent gaiement avec leur invité. Qui est en fait une invitée. Mlle Kynigos. Je pourrais tuer quelqu'un. Là, tout de suite, mes envies se portent surtout sur Lorelei Kynigos.
La porte de ma chambre s'ouvre brutalement. C'est forcément ma chère éducatrice : les Freeman savent que ça ne sert à rien.
Le masque glacé qui lui sert de visage me fait frémir. Elle a l'air... d'une guerrière. Je n'ai pas vraiment d'élément de comparaison, mais c'est l'idée que j'ai d'une guerrière.

-Je vais redescendre, commence-t-elle d'une voix qui refroidit la pièce d'au moins quinze degrés. Si, dans cinq minutes, tu n'es pas levé, habillé, coiffé, et prêt à partir, je remonte, je te traîne jusqu'à ma moto par l'oreille, j'y accroche tes cheveux, et je démarre. Je te laisse le choix.

Quelque chose dans sa façon de parler me laisse penser que ce n'est pas une menace en l'air. J'ai l'étrange impression que Lorelei Kynigos n'est pas fille à déshonorer ses promesses. Me voilà donc debout devant mon armoire. Un jean bleu, un tee-shirt noir, une paire de baskets, et je suis fringué. Je dompte -du moins, j'essaie- rapidement mes cheveux et je la rejoins dans le salon. Le sourire satisfait qu'elle arbore en dit long sur elle ; c'est le genre à toujours obtenir ce qu'elle veut. Pas parce qu'elle est née avec une cuillère en argent dans la bouche, mais parce qu'elle sait se débrouiller. Et ça, c'est carrément flippant.

-Je savais que tu ferais le bon choix, déclare-t-elle sur un ton presque cordial.

Margaret la regarde, l'air impressionné. J'ai envie de lui dire d'arrêter de se faire des films ; qu'elle n'aura jamais aucun pouvoir. Mais la présence de Lorelei Kynigos m'en empêche. Harley, si elle était là, se moquerait. Elle n'aurait sûrement pas obéi. Elle aurait campé sur ses opinions. Pas moi.

-Madame, dit-elle à l'attention de Margaret, je vous ramènerai votre fils adoptif ce soir. Ou pas. Tout dépendra de son attitude. Bonne journée.

Haha. Mort de rire. Elle pense réellement pouvoir me contrôler. Si je me suis levé, c'est parce que je tiens à mes si beaux cheveux.
Elle me fait signe de la suivre, et je me dis que, de toute façon, je suis réveillé et habillé, alors autant y aller.
Encore une fois, je me rends compte du sérieux de sa menace : il y a véritablement une moto devant chez moi. Et une belle. Je ne suis pas amateur, mais je sais reconnaître une Harley Davidson. Principalement parce que ma meilleure amie, du même prénom, m'a traîné chez TOUS les concessionnaires pour trouver la sienne.

-Hého ! Tu grimpes ?

Je sors brusquement de ma rêverie et la regarde. Assise, une main sur le guidon (il me semble que c'est un guidon. Comme je l'ai dit précédemment, je ne suis pas amateur), elle me tend un casque noir. Elle veut que je monte... là-dessus

-Oh, le petit rebelle est effrayé ? ricane-t-elle, la voix dégoulinante de sarcasme.

Piqué au vif, je lui arrache quasiment la protection et l'enfile. Je m'installe derrière elle, irrité. Je l'entends rire.

-Ça marche vraiment à tous les coups, s'exclame-t-elle.

-Euh... qu'est-ce qui marche à tous les coups ?

-Toucher votre ego surdimensionné, voyons ! Bon, en route.

Et elle démarre. Sans préavis. Je manque de tomber, mais un réflexe, me sauvant la vie, m'accroche à Lorelei. Elle sursaute très légèrement. Puis, stabilisé, je relâche mon étreinte. Pour prévenir toute chute, je pose mes mains aux creux de sa taille. Elle frémit. Lui ferais-je de l'effet ? Ce n'est pas la première fois que je remarque ce genre de frisson. Ses cheveux noirs sentent bon. Je me colle imperceptiblement à son dos. Son odeur exaltante électrise mes narines. Un savant mélange de chocolat et de pain d'épices qui m'enivre.
La moto ralentit progressivement. C'est seulement à ce moment-là que je prends conscience du paysage qui nous entoure. La campagne. Des champs de maïs. Ai-je réellement passé tout le voyage à m'extasier sur son parfum si atypique ? Je dois être malade.

-C'est bon, tu peux me lâcher, signale-t-elle abruptement d'un timbre légèrement chevrotant. Dégourdis-toi les jambes.

Elle semble troublée, préoccupée, alors j'obéis. J'ai beau être un emmerdeur de première, je ne suis pas un monstre. Je m'éloigne, lui jetant quelques coups d'œil. Elle regarde le sol parsemé de fleurs. Lorsqu'elle relève la tête, son visage n'exprime plus que détermination. Si elle a, à un moment ou un autre, douté d'une quelconque chose, il n'y en a pas le moindre vestige.

Protect HimOù les histoires vivent. Découvrez maintenant