Chapitre 2 : En rouge et noir

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« Le son, d'un silence d'absence.
Une présence, dans le silence,
Une absence, dans la présence,
La chanson, d'une vie de silence. »

***

Elle était là sans être là. Elle n'avait plus envie d'être là, elle n'avait plus rien à faire ici. Alors elle a décidé de s'en aller. Elle avait besoin de prendre le large, une bouffée d'air pur. Pouvoir respirer à plein poumon, sans retenue. C'était tout ce dont elle avait besoin.

Du haut de ses 6 ans, les solutions lui étaient très restreintes. Elle savait qu'elle n'avait aucun moyen de s'échapper pour une longue durée, alors elle a opté pour une alternative. Elle s'est réfugiée au milieu de ses papiers et de ses crayons, dans la création de son nouveau monde.

Elle s'était conditionnée en toute autonomie en une fraction de seconde, sans broncher. En même temps, Mely a toujours été une enfant obéissante qui n'a jamais contredit aucune directives. Elle était respectueuse et polie, comme ses parents lui avaient toujours appris.

Dans sa fuite silencieuse, elle embarqua avec elle son éternel confident : son lapin en peluche. Le seul à qui elle n'avait pas besoin de parler pour communiquer. Il suffisait qu'elle le serre contre son cœur, pour qu'elle lui partage chacune de ses émotions. Ses ressentis les plus profonds, ceux qui étaient inexprimables, inavouables.

En quittant ce monde, elle savait qu'elle construirait sa vie dans un monde parallèle, pour un jour espérer revenir et le transposer dans le monde du commun des mortels. Mais il s'agissait pour elle d'un avenir très lointain, quelque peu idyllique qui lui semblait bien improbable.

-

Blottie contre son lapin, elle lui racontait chacun des projets qu'elle comptait mettre à exécution. Mais elle lui a fait promettre à lui aussi de se taire, comme elle a dû se taire. C'était leur secret. Un secret dont personne ne devait connaître l'existence.

Après avoir passé ce pacte, Mely se sentait soulagée. Elle avait réussi à se confier en silence à son confident.

Néanmoins, il lui fallait trouver un plan pour ne pas soulever les suspicions de son entourage face à son silence soudain. Personne ne devait découvrir ce pacte. Pour cela, elle n'a rien changé à ses habitudes du quotidien. Elle savait qu'en continuant d'être cette petite fille modèle, studieuse et respectueuse, elle aurait la paix.

A une différence près : ses rituels du vendredi soir se transformèrent en rituels quotidien. Ainsi elle laissa derrière elle pour de bon , toute forme de jeu.

On lui avait dit que c'était un jeu. Elle y a cru. Mais elle n'a pas compris. Elle avait l'habitude de prendre du plaisir à jouer, certainement pas à pleurer.

-

Les rituels du vendredi soir n'avaient plus la même allure. Elle avait changé les règles car le programme s'annonçait être chargé. Il était fini le temps des dessins et coloriages insignifiants. Il était temps de se concentrer sur la création de son autre monde.

Elle commença à griffonner quelques dessins, incertains. Mais ils n'étaient jamais assez bien. Tout n'était pas parfait comme elle le souhaitait, une forme imprécise, un coloriage qui ne donnait pas une couleur uniforme, un trait de crayon qui sortait du cadre. Bref, un scandale. Elle les jeta tous, un à un, sans scrupule.

Il manquait toujours ce quelque chose, ce détail qui ne donnait pas assez de caractère à son dessin. Pourtant du caractère, elle en avait. Même si elle était jeune et silencieuse, avec tout ce qui pouvait lui traverser l'esprit, elle savait qu'elle avait du caractère, peut-être même un peu trop.

Elle s'en rendait compte par moment dans ses folies passagères. Des moments où elle perdait le contrôle de la situation. A force de jouer le rôle de l'enfant modèle, elle renfermait cette colère en elle ainsi que les nombreux ressentiments qui l'accompagnait.

Elle était trop jeune pour s'énerver, hausser le ton. Ce n'était pas de son âge ça non plus. Alors elle criait en silence de toutes ses forces et maudissait tout ce qu'elle pouvait maudire dans sa tête. Et quand la situation devenait incontrôlable et que ses cris intérieurs perçaient le silence, elle avait une méthode bien à elle d'hurler calmement.

Elle se jetait sur son lit, prenait son gigantesque oreiller et plongeait sa tête dedans. Ainsi, elle pouvait commencer à hurler de toutes ses forces, toutes ses tripes, sans que personne n'entende quoi que se soit. Elle en avait besoin, c'était vital.

Quand elle ne le faisait pas, elle savait qu'elle pouvait devenir violente envers elle-même. Elle agrippait sa tignasse et tirait ses cheveux de toutes ses forces jusqu'à ce qu'elle puisse sentir qu'ils se décollent de son cuir chevelu. Une fois dans sa main, elle se rendait compte de la bêtise qu'elle venait de faire. Elle savait qu'elle se ferait gronder alors elle s'empressait de dissimuler cette poignée de cheveux au fond de la poubelle.

Elle avait besoin d'exprimer sa colère. Et quand elle la retenait, elle la consumait.

C'est dans une de ses crises de folie passagère a l'abri des regards, qu'elle jeta pour la première fois son dévolu sur un de ses dessins. Il était imparfait avec des coups de crayons bien marqués qui n'avaient pas honte de s'installer de façon impromptue au milieu de cette feuille blanche.

Elle y ajouta des tas de couleurs qui s'entremêlaient dans la plus grande indécence. Il n'y avait plus de règles sur cette feuille, aucune. Au milieu de ce tourbillon de couleurs vide de sens, elle prit un crayon de couleur noir et y dessina sa montagne de colère. Enfin, elle termina son œuvre en prenant son crayon de couleur rouge pour y laisser couler les larmes sanglantes de cette montagne, qui implosait de douleur.

C'est ainsi qu'elle vivait, en rouge et noir.

***

Épuisée de toute l'énergie qu'elle venait de mettre dans son dessin abrogé de règles, elle déposa les armes et s'affala au fond de sa chaise. Les yeux brillants, la gorge nouée, elle regardait à travers la dentelle de son rideau blanc, la verdure apparente, si apaisante.

Elle ouvrit sa fenêtre, une brise d'air vint l'enivrer pour lui donner la bouffée d'oxygène qui la démunit de cette colère, la laissant s'envoler loin dans les airs. Revitalisée par cette nature si calme, en quelques instants elle retrouva la sérénité au fond de sa chaise.

Dans ce moment d'évasion, elle ferma les yeux quelques instants pour écouter le chant des oiseaux. Un chant à peine audible, couvert par le moteur de la voiture qui ronronnait violemment sous la fenêtre de sa chambre. Mais elle décida malgré tout de se concentrer sur ce petit oiseau qui tentait de communiquer, en dépit des bruits de masse qui couvraient sa voix.

Elle finit par entendre uniquement cet oiseau, faisant totalement abstraction des rugissements bestiaux de la folie humaine. En quelques minutes, elle s'assoupit, et s'envola dans les airs avec son nouvel ami, qui la conduisit à la découverte de son monde.

C'est ainsi que Mely s'envola vers de nouveaux horizons, prête à faire batifoler son imagination, au cœur d'une nature bien vivante ...

Le monde de FeelamOù les histoires vivent. Découvrez maintenant