Chapitre 9 : Le jouissance diabolique

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Tout était prêt. Les hommes se tenaient en place et les machines étaient disposées à dérober les sols de Feelam. Chaque étape de l'opération avait soigneusement été calculé pour que tout se passe dans les meilleures conditions.

En effet, le voyageur avait déjà pu attester par son expérience personnelle que le moindre changement ne laissait pas indifférent les amaryllis. Il suffisait qu'elles s'en rendent compte pour qu'elle perdent leur vertus médicinales et n'aient plus rien à offrir.

Il était hors de question que cela se produise lors de la cargaison, sinon il n'aurait plus qu'à dire adieu à son heure de gloire. Le travail devait se réaliser avec précaution, scrupuleusement et avec méticulosité.

Il fallait absolument que les fleurs se laissent apprivoiser, qu'elles n'aient pas à rechigner.

Pour cela, elle devaient se sentir en confiance, comme "à la maison". Bercées dans l'illusion, c'était uniquement de cette façon qu'elles auraient pu continuer de fleurir, comme si de rien n'était.

Ainsi, leur vertus continueraient de se multiplier même après avoir été déracinées, pour le plus grand bonheur du voyageur.

-

Il était temps que le spectacle commence. Le feu d'artifice allait bientôt résonner dans les terres de Feelam. Sans ne plus tarder, le voyageur lança alors le décompte  : « 5, 4, 3, 2...,1... Feu ! »

A cet instant, un vacarme assourdissant s'installa au milieu d'un paysage habituellement calme et apaisant. Les machines se mirent à rugir de part et d'autre des terres, puis s'approchèrent tout doucement des parcelles de fleurs.

Aussi bruyantes qu'imposantes, leurs mouvements quand à eux furent relativement surprenants. Ils étaient d'une souplesse et d'une délicatesse ahurissante ! Qui l'eut cru?

Ils creusaient la terre et enrobaient la racine de l'amaryllis d'un geste aussi douillet que celui d'une main humaine. Pour le coup, le voyageur s'était assuré que ses machines aient la main verte.

Les fleurettes rouges écarlates étaient en confiance. Rien ne pouvait les effrayer, elles se sentaient en sécurité. Le voyageur avait trouvé le subterfuge adéquat pour mieux les berner.

Tout se faisait en douceur, de façon à ce qu'il n'y ait pas de pleurs, ni de cris de la part de ces fleurs. Elles devaient rester silencieuses, ne rien dire et se laisser faire.

Les sols de Feelam se dévêtaient au fil des heures. A la fin de la journée, cette terre était nue, face à tous ceux qui l'avait dépouillée.

Le coucher du soleil laissa apparaître une terre abattue, maltraitée, retournée. Elle n'avait plus d'âme. Elle était morte. On lui avait pris tout ce qu'elle avait, au plus profond de ses tripes.

On lui avait tout pris, elle n'avait plus d'identité, elle ne savait plus qui elle était. Elle était mise à nue, couverte de honte sous les projecteurs du coucher du soleil.

-

En cette fin de journée de travail, tous les travailleurs s'esclaffèrent de joie ! Ils avaient accompli leur mission sans aucune perte, c'était un véritable exploit ! Alors sans plus attendre, ils s'empressèrent de sortir leurs divers breuvages pour célébrer cette victoire !

Le jour de gloire tant attendu du voyageur était imminent. Cependant, malgré l'euphorie du moment, il eut comme un étrange ressenti. Il venait d'accomplir sa mission, mais un frisson glacial envahit son corps laissant s'installer une vague de frayeur en lui.

Il ne pouvait pas l'expliquer, mais en l'espace de quelques secondes, il éprouvait un sentiment particulier : la culpabilité.

Il avait détruit une terre toute entière pour sa richesse personnelle. Il l'avait mise à nue, en dépit des circonstances, des avertissements qu'il avait reçu.

Les notes de son prédécesseur, l'explorateur, lui apparaissaient en rafale comme des flashs. Il se rappelait des dernières lignes qu'il avait lu sans grande conviction.

Cette union avec la nature... cette espèce de lien particulier dont il parlait. Le voyageur ne semblait avoir tissé un quelconque lien avec la nature, mais pour autant, cette culpabilité le déstabilisait au plus haut point.

Il ne savait pas réellement quoi en penser. C'était tellement étrange et si particulier. Il n'avait pas de raison de culpabiliser. Il n'avait mis aucune vie en danger, il s'agissait uniquement d'un commerce, comme un autre.

Il essayait de se rassurer du mieux qu'il pouvait... Après tout, c'est ce que faisait l'ensemble de sa famille pour chacun de leurs commerces : ils tentaient de se justifier par tous les moyens, de façon à soulager leur conscience.

A cet instant, quelques travailleurs s'apprêtaient à retirer la dernière parcelle de fleur restante, mais le voyageur stoppa l'opération.

Il avait besoin d'alléger ce sentiment de culpabilité en laissant à cette terre un minimum de dignité, même si en soi,  elle n'était que symbolique.

Au moins, il aurait cet acquis de conscience, se disant que les fleurs repousseraient certainement dans un prochain millénaire.

Ce n'est pas comme si Feelam s'en souviendrait un jour...

Après tout, ce qui est enfouit dans le passé ne fait que rarement surface, n'est-ce-pas?
Qui se souviendrait de cet acte dans quelques millénaires ?

Certainement pas le voyageur c'est sûr, il ne serait plus de ce monde. Mais ce qu'il ignorait, c'est que chacun de ses actes auraient des répercussions considérables sur la terre de Feelam...

Il venait de commettre l'irréparable. Une chose que personne ne s'était permis de faire. Il était venu d'un pays lointain, s'était approprié des terres qui n'étaient pas les siennes.

Pire, il les a dépouillé de leur intimité. Feelam n'avait aujourd'hui plus rien à offrir. Elle avait perdu tout ce qui l'avait toujours fait briller, cette étincelle de vie qui rendait son paysage et son aura si exceptionnels.

Le voyageur venait de transformer la ville de Feelam en une terre méconnaissable. Elle était défigurée, dépossédée.

Ecorchée vive, serait-elle un jour à même de se reconstruire?
Certainement.
Pour le meilleur... ou pour le pire...

Le monde de FeelamOù les histoires vivent. Découvrez maintenant