Chapitre 1 : Le rituel du vendredi soir

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« On lui avait dit de se taire,
Alors elle s'est tue.
Ce n'était pas prévu,
Mais elle ne pouvait rien y faire. »

***

17:00 : Mely rentre de l'école. Elle s'empresse de descendre de la voiture pour rejoindre la maison. Elle savait qu'on était vendredi, ce qui signifiait qu'il n'y avait pas école le lendemain.

Du haut de ses 6 petites années, elle s'impatientait de l'arrivée du vendredi soir. Il se faisait tellement désirer depuis le début de la semaine. Par moment, il prenait un malin plaisir à jouer à cache cache en faisant croire à tout le monde qu'il était là, voire même en avance, rien de plus agaçant !

Ce jour-là, ce n'était pas une farce il était bel et bien là pour le plus grand bonheur de Mely. Elle adorait le vendredi soir car c'était le seul soir de la semaine où elle n'avait pas à faire ses devoirs. Ils étaient réservés pour le samedi matin.

Le vendredi soir était son moment à elle. Le jour où elle avait le droit de se coucher un petit peu plus tard, pour s'envoler toujours plus loin dans son imagination.

En passant le pas de la porte, elle accourut à toute allure dans sa chambre, laissa glisser son cartable au sol et enleva de ce pas ses chaussures pour s'installer sur son bureau. Elle eut à peine le temps de se mettre en place que sa mère la rappela à l'ordre illico!

Elle le savait, mais elle continuait à le faire chaque vendredi, comme si ça l'amusait. Après une journée d'école, le rituel devait être le même : le goûter, puis la douche ! Mais non, elle s'obstinait à tenter d'esquiver ce rituel pour ne pas perdre une seconde à se mettre à l'œuvre.

Alors forcément, dès que sa mère s'en rendait compte elle avait droit à la même chanson ! Un refrain qu'elle connaissait maintenant par cœur après de multiples répétitions. D'ailleurs, elle prenait le soin de l'imiter en répétant chacun de ses mots d'une justesse irréversible !

Il fallait bien sûr ajouter une chorégraphie qui correspondait aux nombreux gestes que sa mère additionnait pour exprimer sa colère et sa fatigue face à l'attitude lassante de sa fille. Une chorégraphie qui devait rester discrète si elle ne voulait pas avoir plus de problèmes qu'elle n'en avait déjà...

Elle s'empressa de filer à la douche et se savonna en 5 minutes chrono ! Une douche, un séchage ainsi qu'un un habillage express et l'affaire était réglée.

Elle savait que sa mère viendrait vérifier que tout soit bien rangé, alors c'est dans une vérification express, qu'elle jeta un coup d'œil radar pour s'assurer que tout était à sa place :
- Vêtements de la journée accrochés ✔️
- Chaussures rangées et alignées ✔️
- Bijoux dans leurs boîtes respectives ✔️

Tout semblait être en place pour qu'elle n'ait plus à être dérangée. Elle s'apprêtait enfin à sortir sa trousse de son sac, lorsque sa mère ouvrit la porte de sa chambre et l'interrompit pour la seconde fois :
« Pense à ranger tes chauss ...  ! Ah je vois que tu l'as déjà fait, quel miracle ! »

Mely connaissait sa mère par cœur ; de sa plus ridicule mimique à ses plus grandes réactions. Elle l'analysait depuis toujours, pour tenter de détecter chacune des occasions qui lui extirpait ses plus beaux sourires. Ainsi, elle s'assurerait de ne jamais laisser couler aucune larme de ses petits yeux, qui étaient bien trop souvent marqués de tristesse...

-

18h00 : Enfin prête à sortir sa trousse pour de bon. Ce rituel était toujours un moment d'émotions pour Mely. Sortir ses plus beaux crayons de couleurs, ses feutres, et sa panoplie de collection de feuilles était pour elle un vrai régal.

Elle ne savait pas dans quel œuvre elle allait se lancer : un dessin improvisé, un coloriage, quelques lignes d'écriture. Elle ne savait jamais à l'avance où la conduirait son inspiration dans son petit monde.

Au milieu de ses papiers et de ses crayons, elle se laissait transporter par le fond de ses pensées. C'est ainsi qu'elle vivait dans son univers bien à elle, loin des poupées immondes qu'elle dévisageait, au grand désespoir de sa mère.

Elle qui avait toujours rêvé d'avoir une fille, s'attendait à admirer la sienne jouer à la poupée, à la dinette etc. Mais rien n'y faisait, ce n'était pas pour elle. Du moins c'est ce qu'elle pensait...

Au début, elle trouvait ça assez étrange, puis elle s'est résolue à l'idée qu'elle était tout aussi bien au milieu de sa paperasse, alors elle l'a laissé. Elle pensait que c'était un côté studieux qui se démarquait à un âge assez précoce. C'était ce que lui avait dit un proche qui travaillait dans l'enseignement; après tout, quel enseignant aurait penser le contraire ?

Pourtant, quelques temps auparavant, Mely avait des poupées avec lesquelles elle jouait de temps à autres. Des peluches avec lesquelles elle discutait, son petit chat qu'elle promenait de sa chambre à la cuisine. Mais ça, c'était avant.

Elle n'avait plus envie de se balader avec son chat. Elle n'avait plus envie de jouer à la poupée car elle n'avait plus aucun intérêt de le faire. Elle n'avait plus rien à lui confier.

On lui avait dit de se taire, alors elle s'est tue, une bonne fois pour toute.

Le monde de FeelamOù les histoires vivent. Découvrez maintenant