IV. Jour J

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chapitre réécrit

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chapitre réécrit

𝑰𝑽. 𝑱𝑶𝑼𝑹 𝑱

𝚕𝚞𝚗𝚍𝚒 𝟷𝟽 𝚘𝚌𝚝𝚘𝚋𝚛𝚎

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Sept heures et demi, Elinor manqua son réveil de peu, c'est le dernier rappel qui la fit émerger. Elle se redressa en sursaut, affolée à l'idée d'être en retard. Le cœur battant, elle vérifia l'heure plusieurs fois sur son téléphone, puis sur l'horloge de sa cuisine à qui d'ordinaire elle n'accordait jamais un regard ; elle était dans les temps. Rassurée, elle ne ralentit pas pour autant, elle voulait contrer les éventuels imprévus. Il y en avait toujours. 

Une fois sous le jet brûlant de la douche, enveloppée par la buée déposée sur les parois en plexiglass, elle tenta de relativiser, elle n'était pas du genre à mettre des heures à se préparer, elle serait de toute évidence en avance. La peau encore humide, elle réalisa qu'elle n'avait pas prévu de tenue la veille. 

Trop dissipée pour s'enrouler d'une serviette, elle mit une culotte et se précipita à moitié nue dans sa chambre. Bras croisés devant son armoire en désordre, elle se sentit démunie quant à l'apparence qu'elle devait adopter. En faire trop pourrait tourner au ridicule mais après tout, il fallait peut-être trop que pas assez, surtout pour ce genre d'établissement. Elle ne savait pas s'ils soutenaient tous les styles vestimentaires ou s'ils étaient plutôt adeptes des chemises et mocassins. Elle espérait toutefois que ce ne soit pas la deuxième option. Elle jeta sur son lit quelques affaires qui l'inspiraient et quand elle fut prête à faire son choix définitif, la lumière naturelle de la matinée la fit remarquer que ni ses volets ni ses rideaux n'étaient fermés. Elle avait oublié cette partie de la routine hier soir. 

C'est avec stupeur qu'elle se rendit compte que son corps était à la vue de tous. Le vis-à-vis était le plus gros défaut de son appartement, raison pour laquelle elle accordait un soin particulier à la conservation de sa vie privée en fermant systématiquement ses rideaux mais ce jour-là elle avait failli à son devoir et se souviendrait toute sa vie de cet oubli malheureux. 

Elle mit une bonne minute à discerner qu'un de ses vieux voisins était installé en terrasse pile dans l'axe de sa fenêtre et l'observait d'un air amusé. La stupeur d'Elinor se mua en horreur lorsqu'elle crut croiser le regard de l'homme qui semblait apprécier ce généreux partage. Elle ne trouva rien d'autre à faire que se jeter sur son lit afin de retrouver une intimité décente. Des frissons de dégoût la parcourut tandis qu'elle fermait ses rideaux gris à bout de bras avant de rouler sur le dos en lâchant un long soupir. 

Cette mésaventure lui fit perdre des minutes précieuses sur son planning et elle n'avait toujours pas sa tenue, elle enfila alors un soutien-gorge et inspecta sa pile de vêtements. Elle opta pour un jean mom noir et un pull en maill à boutons. Elle avait pris le parti – et le risque – de se sentir bien dans ses vêtements avant tout en faisant un effort pour paraître soignée. Elle attrapa la brosse à cheveux qui traînait sur sa table de chevet, mit de l'ordre dans sa chevelure châtain ébouriffée et passa à la salle de bain pour effacer les traces de fatigue et de pâleur avec un peu de maquillage. 

Huit-heures vingt-quatre.

Elle était prête, du moins physiquement. En accrochant ses anneaux dorés aux oreilles, elle s'aperçut qu'elle n'avait rien avalé depuis la veille et son ventre commençait à gargouiller. Ne tenant pas à ce qu'il s'exprime durant le face à face, elle mit de l'eau à chauffer pour son thé et attrapa une banane dans la corbeille à fruits. Sa tasse à la main, elle s'attela au choix de ses chaussures, elle n'en avait pas un choix infini mais ça ne l'empêchait pas de douter. Elle conserva sa ligne éditoriale et choisit sa paire de Mary-Jane bordeaux de tous les jours. Elle mit son seul manteau assez chaud pour l'automne, un long manteau en laine gris et s'inspecta dans le petit miroir près de son entrée. 

"Bonjour, je suis Elinor Gardner, je viens pour la formation en lettres, je suis très motivée" dit-elle au miroir, jaugeant si son sourire était assez naturel. 

Pas très convaincant mais elle n'était pas sûre de faire mieux. Elle vérifia si son fond de teint ne faisait pas de démarcation, si son mascara n'avait pas laissé de traces sur ses paupières et si son blush ne lui donnait pas l'air d'une poupée de porcelaine : rien à signaler. Seul son petit grain de beauté sous son œil droit lui donnait toujours l'impression d'avoir une saleté, c'était une place qu'elle avait toujours trouvé étrange pour une petite tache qui était sensé apporter une pointe de beauté. 

Huit-heures quarante-cinq.

Elinor sortit de chez elle pour rejoindre l'arrêt de bus qui se trouvait en bas de son immeuble où elle attendit une quinzaine de minutes. Elle demanda au chauffeur s'il s'arrêtait bien à l'Institute of Plural Arts et dans un grognement peu chaleureux, il acquiesça. 

Il était neuf heures, elle n'avait pas plus de vingt minutes de route, elle serait définitivement en avance. Un poids de moins à porter même si le stresse ne s'envolerait pas jusqu'à son retour chez elle. 

Pour s'occuper pendant ses trajets, elle aimait s'imaginer la vie des passagers en les détaillant de la tête aux pieds, parfois en les fixant même avec insistance par inadvertance, habitude qui lui avait une fois causé des ennuis, un de ses sujets d'analyse croyant qu'elle lui cherchait des problèmes. Depuis, elle s'efforçait d'être discrète. 

Ce jour-là, il y avait dans son axe, assis sur un des sièges à l'arrière du bus, un vieil homme maigrelet à la barbe blanche très fournie, une canne entre les jambes. Il regardait les immeubles défiler, somnolant. Son style vestimentaire était soigné, son apparence était sûrement un de ses plaisirs quotidiens, sous son long manteau noir, il portait une chemise tanné agrémentée d'un nœud papillon jaune sur le col. Elinor se plut à l'imaginer comme un ancien professeur de philosophie, qui fut autrefois exalté par son métier, et qui désormais était considéré comme un sage dont on buvait les paroles. Ses analyses anthropologiques l'occupèrent jusqu'à son arrêt qu'elle manqua de louper. Elle sortit du bus en adressant un sourire à l'homme qui, en vue de son expression, s'interrogeait sur cette délicate attention. Elle longea l'avenue Shaftesbury quelques minutes jusqu'à arriver au pied du bâtiment historique qui était sans nul doute, l'Institute of Plural Arts

Elle gravit les marches en pierre et remarqua sous le nom de l'école, la même inscription en latin que sur le site "Ars enim est fortis" L'art est pour les vaillants, elle avait regardé la traduction sur internet. Elle fut surprise par l'effet intimidant que pouvait provoquer une simple plaque dorée et une phrase issue d'une langue morte. Cet établissement avait une volonté limpide de montrer son prestige dès l'extérieur et ça fonctionnait. 

Le doute et le sentiment d'illégitimité gagnèrent Elinor mais ce n'était plus le moment de se questionner. Elle prit une grande inspiration et poussa la porte.

La liste d'infortunes d'Elinor GardnerOù les histoires vivent. Découvrez maintenant