Note de l'auteur : texte écrit dans la lignée de « Les étoiles et toi ». Les implications sont les mêmes, quelles qu'elles soient. Et je n'en dirai rien.
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Minuit trente.
Au-delà des vitres de la passerelle, les étoiles disputent âprement leur place aux nuages qui obscurcissent le ciel. À l'intérieur, rien ne trouble le silence. Tu clignes des yeux, un instant éblouie par la rétroluminescence de l'alidade tandis que ton esprit se rebelle malgré toi d'avoir été réveillé à une heure aussi indue.
— Gouvernez au soixante-et-onze.
Ajustement infime de trajectoire. Il n'est pas nécessaire, mais tu n'as rien d'autre pour t'occuper : le scope du radar est vierge de toute trace. Il l'était déjà la veille, et le jour d'avant. Le Pacifique est grand. Les routes commerciales sont loin.
Le quart s'annonce long.— En route au soixante-et-onze.
— Bien.Le barreur maîtrise son affaire, se jouant de la houle pour maintenir le cap. La proue ne dévie pas.
Tu consultes la carte. La route est rectiligne sur des centaines de nautiques encore (cinq cent trente-sept exactement). Tu ne tourneras pas aujourd'hui. Tu soupires.Minuit quarante-cinq.
Tu n'as pris le quart que depuis une demi-heure et cela te semble déjà une éternité.
— On va prendre la flotte, lâche ton adjoint. On n'voit plus du tout les étoiles.
Oh, génial. À ces heures-ci, ton principal plaisir est de profiter de la beauté du ciel. Sous ces latitudes, loin de toute pollution lumineuse, le firmament se révèle dans toute sa splendeur. Tu pourrais rester la nuit entière à admirer les constellations. Et le quart s'écoule tellement plus vite lorsque l'on traque la galaxie d'Andromède !... Hélas, ce ne sera pas pour cette fois.
Dehors, une vague traîtresse s'abat sur le flanc tribord. Le coup de boutoir fait trembler la coque.— Ça se lève, on dirait, commente le barreur.
Tu grimaces. Tu as beau t'être amarinée, tu es toujours sensible au tangage. Manquerait plus que le mal de mer, tiens...
— Gouvernez au soixante-quinze.
Le vent et le courant augmentent la dérive. Mais bon, tu as vu pire. Et puis avec le GPS, tout est plus facile désormais.
Tu as une brève pensée pour les navigateurs d'autrefois, qui n'hésitaient pas à braver l'immensité sans être capables de connaître leur position en temps réel. Tu t'es toi-même essayée au sextant quelques jours auparavant. L'expérience n'a, en toute franchise, pas vraiment été couronnée de succès.Une heure dix.
La houle s'intensifie. La nuit s'assombrit davantage. Tu fixes l'horizon (ou, tout du moins, un point que tu estimes être l'horizon dans cette obscurité) tandis que, à intervalles réguliers, l'étrave tosse avec violence.
— Il pleut, non ? demande le barreur.
— Ce sont les embruns, tête de nœud ! se moque l'adjoint.L'autre hausse les épaules, vexé, un mouvement que tu devines plus que tu ne le voies.
Une heure quinze.
Plus que trois heures.
— On devrait couper le radar, dit l'adjoint.
Tu vérifies d'un coup d'œil. Non.
— On n'est pas encore au-dessus des limites.
— Vu comme c'est parti on va les atteindre dans pas longtemps, capitaine, rétorque l'adjoint.