Tous les arbres que je peux voir

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Notes de l'auteur : dans la même lignée que « Sur la falaise ». Méta, très certainement.

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« Mes yeux s'emplissent de montagnes, de prairies enneigées,

de tous les arbres que je peux voir...
... Et je serai sûrement le plus heureux des hommes. »

L'étoile du désert, Marini/Desberg

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Le long du quai, la locomotive expira un nuage de vapeur blanche, et les freins se turent enfin dans un dernier hurlement d'animal à l'agonie. Maetel n'avait pas attendu. Sitôt le train entré en gare, elle avait sauté du marchepied, impatiente de fouler à nouveau la terre ferme après son interminable périple.

Nul autre voyageur ne monta ou descendit des wagons.

Le quai n'était que planches mal équarries. La gare, un cabanon branlant. Au loin, la forêt prenait le pas sur la prairie. L'hiver s'accrochait encore aux versants des monts marbrés de blanc. Maetel s'avança sur le chemin à peine dessiné, jeta un bref regard anxieux en arrière. La locomotive assoupie disparaissait dans une brume froide.

Elle avait le temps, décida-t-elle.

Elle marcha. La brume se referma derrière elle.

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La maison était nichée au fond de la vallée, construite de bois, sans fioriture, au sommet d'une colline qui annonçait les contreforts des montagnes. Isolée en pleine nature, elle semblait à la fois vulnérable et intemporelle. Une tempête aurait pu l'abattre, pourtant elle bravait l'éternité.

Lorsque Maetel approcha, elle nota les traces de passage plus nombreuses, ici des empreintes de bottes dans la boue, là du bois coupé qui n'avait pas encore été entreposé au sec. Sur l'appentis adossé au bâtiment principal, elle aperçut une hache, une scie, un établi de charpentier. Des copeaux jonchaient encore le sol. De l'autre côté, un carré de terre fraîchement retourné était gardé par un épouvantail rudimentaire vêtu d'une cape noire.

Elle s'immobilisa, hésita quelques secondes. Dans cette atmosphère paisible, elle avait soudain l'impression de déranger. Elle frissonna. Faire demi-tour ? La vallée était noyée de brouillard. Retrouverait-elle son chemin ?

La maison se détachait telle un phare, point d'ancrage au milieu d'un océan de brume, unique refuge au milieu d'une nature inviolée. Dans cette atmosphère mouvante, elle prenait tour à tour des allures de piège retors et de havre sûr, d'appât menaçant et d'invitation familière. Maetel frissonna encore, retint son instinct qui lui criait de courir retrouver la protection de la locomotive. Elle était descendue du train pour ce moment, se rappela-t-elle. Elle inspira, se força à calmer les battements affolés de son cœur. Que craignait-elle ? Harlock ne l'avait jamais mal accueillie.

Et elle avait envie – elle avait besoin – de parler.

Elle entra.

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Le seuil franchi révéla une odeur de résine et la chaleur d'un feu de bois. La lumière se frayait un chemin difficile à travers les volets à demi-clos, rebondissait dans les recoins, déformait les ombres. Les rayons semblaient se concentrer sur la table, au centre de la pièce. Dessus était posé un holster en cuir de belle facture. À côté, une crosse flanquée d'un blason métallique, un percuteur, un barillet démonté. Assis en équilibre précaire sur une chaise à trois pieds, Harlock nettoyait le canon avec un écouvillon. Ses gestes étaient précis, briquant le métal dans un va-et-vient saccadé.

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