Des vies brisées

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Disclaimers : les gens qui dissertent à Leiji Matsumoto. Et un peu à Shinji Aramaki, aussi.

Note de l'auteur : ce titre était destiné à l'origine à deux OS sur Kei et Yattaran. Si l'inspiration vient je me réserve donc le droit d'ajouter d'autres chapitres derrière celui-là, lesquels n'auront rien à voir.

Chronologie : movieverse. Préquelle, mais pas très longtemps avant. Quelques semaines, tout au plus.

Philosophie : option non nécessaire mais intéressante. Parce que la boucle se reboucle.

                                              —————

« Notre sang se transmet à nos enfants, puis aux enfants de nos enfants... »

— Il s'appelle Yama.

L'homme avança son fauteuil gravitationnel jusqu'à l'extrême limite de la falaise et plongea son regard en contrebas. Un soleil pâle se couchait au fond du canyon démesuré, illuminant le paysage désolé de tons ocre et rouge. La lumière déclinante fit brièvement scintiller ses galons d'amiral.

— Il n'est pas au courant, ajouta-t-il.
— Vous allez lui dire ?

Son interlocuteur se tenait dans l'ombre d'une construction cyclopéenne effondrée. Peut-être y avait-il eu une civilisation florissante, ici, ou peut-être n'était-ce que le fruit d'une imagination humaine éperdue de trouver des traces de présence dans cette galaxie immense.

— Non, répondit-il.

Il renifla.

— Et vous ? reprit-il sur un ton qu'il voulait sarcastique, mais qui s'avéra beaucoup plus amer qu'il ne l'escomptait. Vous comptez lui révéler la vérité une fois qu'il sera à votre bord ?
— Je n'ai rien à lui cacher.
— Mais vous n'avez pas l'intention de lui en parler, n'est-ce pas ?

La silhouette dans l'ombre ne répondit rien mais détourna le regard, et ce geste était tellement rare de sa part qu'il en devenait plus évocateur que n'importe quel aveu. L'homme serra le poing, résista à l'abattre avec violence sur le dossier de son fauteuil. Cela ne résoudrait rien. Et cela n'empêcherait rien non plus.

— Je ferai le maximum pour lui éviter le destin que vous lui avez tracé, ajouta-t-il néanmoins.
— Il choisira de son propre chef le moment venu, rétorqua l'autre. Je ne lui imposerai rien.

Bien sûr. La liberté, hein ? Comme s'il avait pu exister une alternative.

— Quels que soient les chemins qui seront pris, l'issue restera identique, insista-t-il. Je le sais, vous le savez. Nous jouons avec des dés pipés.

Il tendit le bras, effleura de la main les galons qui s'étalaient sur sa manche, puis désigna d'un geste l'insigne à tête de mort sur le col de l'autre homme.

— Des dés puissants, mais pipés.

Le pirate en face de lui se fendit d'un demi-sourire sans qu'il soit possible de déterminer s'il se moquait d'être le pion d'une partie dont le résultat était connu, ou s'il était celui qui en avait fixé les règles dès le départ. Un peu des deux, probablement. Son voyage interminable dans les méandres du temps avait dû lui octroyer des clés que le militaire ne possédait pas. Des clés d'immortalité, cadeau des dieux... ou du diable.

— La matière noire est un poison, ajouta-t-il en crachant les mots comme si la seule évocation de cette substance maudite avait pu l'atteindre et le contaminer.

Elle s'infiltrait insidieusement, remplaçant la lumière par l'obscurité. Elle rongeait l'âme. Elle détruisait toute trace d'empathie.

— Et elle l'a tuée à petit feu. Vous saviez que cela se passerait ainsi.
— Elle pouvait me suivre, objecta le pirate d'une voix où ne perçait aucune émotion.
— C'était impossible ! Vous saviez parfaitement que c'était impossible !

Il était venu, il était parti. Il n'avait jamais montré le moindre intérêt pour ces vies qu'il avait brisées. Seul comptait le destin qu'il s'était forgé, cette œuvre qu'il lui fallait accomplir. Seul comptait le flambeau qu'il lui fallait passer.
L'homme dans le fauteuil sentit soudain tout le poids de leurs tâches respectives, toute l'immensité qui se dressait devant eux, tous les rouages d'une machinerie au-delà de leur compréhension. Chacun luttait à sa manière, éclat dérisoire et minuscule. Chacun espérait.

— Je ne pardonnerai jamais votre geste imbécile.

Il ne pardonnerait jamais à Yama non plus, mais était-ce vraiment la faute de son frère ? Si seulement le pirate n'avait pas croisé leurs vies, si seulement elle ne s'était pas mis en tête de faire pousser des roses. Si seulement...
Alors Yama aurait été un autre, s'était-il persuadé.
Alors rien ne serait arrivé.

Le pirate lâcha un soupir presque imperceptible. L'ébauche d'un regret peut-être ? Il était trop tard cependant, beaucoup trop tard. Déjà, la nuit tombait. Leur entretien parvenait à son terme. Les informations avaient été transmises. Le destin s'accomplirait, quoi qu'il advienne.

— Et vous ne parlez pas de la Terre, souffla l'homme en noir avant de disparaître définitivement parmi les ombres.
— Et je ne parle pas de la Terre.


« ... et je crois que c'est ça, la vie éternelle. »
Harlock, Adieu Galaxy Express


2013Où les histoires vivent. Découvrez maintenant