Des cartes truquées

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                                               (Un battement de cils)


Disclaimers : les pions de ce grand jeu d'échec galactique appartiennent à Leiji Matsumoto.

Note de l'auteur : comme je l'avais annoncé dans le premier chapitre, voici un texte qui n'a rien à voir avec le reste (et qui ne parle toujours pas de Kei Yuki. J'y arriverai probablement un jour, mais de toute évidence ce n'est pas pour tout de suite). Il traite par ailleurs d'une hypothèse différente de celle que j'ai évoquée précédemment, très intéressante également.

Blabla technique : pas forcément très satisfaisant du point de vue de la rédaction. Faut dire que je l'ai rédigé sur un coin de table, aussi.

Philosophie : toki no wa. Les boucles qui se succèdent.

                                                —————


Cela faisait presque vingt ans...

— Harlock ? Qu'est-ce que c'est ?

La mèche de cheveux que Mimay tenait entre ses doigts s'échappa lorsque le capitaine de l'Arcadia se retourna sur le dos.

— Mmm... Quoi donc ?
— Tes cheveux...

Harlock haussa un sourcil dubitatif, puis rejeta les draps de côté avant de se lever et de se déplacer jusqu'au miroir de la salle de bains attenante à ses quartiers.

— Eh bien ? interrogea-t-il sans cesser son examen. Je ne vois rien !

Mimay se leva à son tour. L'air frais sur sa peau nue la fit frissonner. L'Arcadia était perpétuellement si sombre et froid, même dans l'atmosphère plus confinée de la chambre d'Harlock.
La Nibelungen s'enveloppa dans le drap du lit et rejoignit la salle de bains à pas feutrés, tel un fantôme éthéré. Sourcils froncés, Harlock se regardait toujours dans le miroir comme si l'objet avait pu lui dévoiler les secrets de l'univers. Mimay eut un léger sourire en posant le menton sur l'épaule du capitaine pirate, et saisit à nouveau la mèche de cheveux qui l'avait intriguée.

— Ici, regarde... Ça a changé de couleur...

Harlock eut une mimique interloquée quelques secondes, puis il comprit.

— Oh, un cheveu blanc ? Ce n'est rien, tu sais...

Il plissa le front, sembla réfléchir un instant, et en fin de compte balaya d'un geste ses pensées, quelles qu'elles fussent, comme si elles n'avaient pas eu d'importance.

— Mais on dirait que la matière noire ne m'empêche pas de vieillir, en définitive, conclut-il.

La remarque plongea la Nibelungen dans des abîmes de perplexité. Vieillir ? Leur voyage n'avait pourtant duré qu'un battement de cils !
Mimay occupa les jours suivants à collecter des informations dans l'immense bibliothèque de l'Arcadia. Sa connaissance des humains était restée très rudimentaire, s'aperçut-elle. Elle n'avait finalement jamais eu de véritable contact avec eux. À l'exception de Tochiro. Puis d'Harlock, à partir du moment où l'officier des Forces Terrestres avait pris le commandement de l'Arcadia.
Harlock... Depuis des années, elle ne côtoyait qu'Harlock. Elle ne s'était jamais vraiment souciée du fonctionnement de l'humanité en général.
Elle retint de ses investigations que ce peuple qu'elle peinait à comprendre était éphémère. Et, soudain, elle eut peur de la solitude. Elle était peut-être la dernière représentante des Nibelungen, mais, malgré les différences, elle avait appris à apprécier la compagnie d'Harlock. Elle n'imaginait pas – elle n'imaginait plus – traverser sa propre éternité sans personne à ses côtés.

— Tu sembles soucieuse, observa Harlock encore une poignée de jours plus tard.

Elle avait trouvé d'autres cheveux blancs dans les mèches brunes indisciplinées. Harlock ne paraissait pas s'en inquiéter, mais la Nibelungen sentait à chaque respiration un précipice s'ouvrir un peu plus sous ses pieds. C'était la première fois qu'elle éprouvait aussi vivement la cruauté du passage du temps. C'était... terrifiant.
Harlock... Un battement de cils. Un battement de cils et il aurait disparu.

Mimay prit sa décision au bout de trois mois, six jours et neuf heures standards – presque instantanément pour elle, alors qu'Harlock était depuis longtemps passé à d'autres sujets.
Elle prit la seule décision qu'elle estimait satisfaisante. Le corps humain vieillissait. Elle ne pouvait l'empêcher. Il lui fallait donc un réceptacle plus jeune. Un humain jeune, idéaliste, intrépide et prêt à reprendre le flambeau. Apte à recevoir l'héritage du capitaine pirate.
Bien sûr, pour ce faire, l'Arcadia devrait se rapprocher des zones habitées, renouer le contact avec les humains. Peut-être devraient-ils faire monter à bord d'autres personnes avant qu'elle ne trouve celui qui lui conviendrait. Mais il s'agissait de l'unique solution qui s'était présentée à elle.
Ainsi, elle pourrait préserver l'esprit d'Harlock.
Et le cycle serait éternel.

                                             —————


Cela faisait presque quarante ans...

— Oh, Harlock... Je t'ai trouvé un cheveu blanc...
— Quoi, déjà ? Je ne suis pas si vieux !

Le temps ne s'arrêtait jamais.
Mais il était toujours possible de ruser.


2013Où les histoires vivent. Découvrez maintenant