comme Enfance

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Agathe en eut le souffle coupé et, la bouche fermée, les yeux grands ouverts, les oreilles tendues, elle guettait le prochain bruit.

Celui-ci ne se fit pas attendre et presque aussitôt, un second craquement, plus lugubre encore que le premier, lui parvint. Elle peina à avaler sa salive.
Autour d'elle, les monstres étaient toujours là et cette fois plus encore, faisaient acte de présence.

Elle sentait leurs regards, là, à quelques pas d'elle. Voyait leurs yeux jaunes qui sortaient du mur, leurs longues pattes - au bout desquelles pendaient d'horribles griffes - qu'ils étendaient vers le lit, îlot de chaleur et de protection dans cet océan de cauchemars.
Elle retenait le cri qui lui brûlait la gorge. Elle était forte et courageuse et elle n'avait pas peur.

Pourtant, ses doigts s'abîmaient sur la couverture tant elle la serrait et son coeur accélérait dans sa mince cage thoracique. Derrière la porte, les craquements se faisaient plus proches et les monstres, à ses pieds, plus menaçants.
Désormais, elle retenait son souffle, n'osant plus même respirer. Ses grands yeux ne quittaient plus la porte, incapables de s'en détacher.
Lorsqu'enfin devant elle la clenche s'abaissa en un sinistre sifflement et que, doucement, tout doucement, la porte commença à s'ouvrir en un macabre grincement, c'en fut trop pour l'enfant.
La petite ne pouvant plus contenir sa peur, à contre coeur mais à bout de nerfs, laissa de chaudes et précieuses larmes se déverser silencieusement sur ses joues inquiètes. Terrifiée, elle regardait la porte qui, doucement toujours, continuait de tourner sur elle-même et qui, soudain, presque brusquement, s'arrêta.
Et arrêta tout avec elle. Ce fut comme une suspension générale du temps, des pleurs, des bruits, des monstres, du souffle, de la vie. Une brève parenthèse avant le dénouement, quel qu'il soit, pourvu que d'une manière ou d'une autre, il mette fin au supplice de cette attente.

Et derrière la porte, Agathe entendit une voix chuchoter.

« Mon trésor ? Tu dors ? »

Maman. C'était maman.
Elle se sentit de nouveau respirer. La tension accumulée sur ses frêles épaules se relâcha aussitôt, s'échappant de son être en dégringolant de ses yeux.
Elle pleurait. De soulagement, de fatigue; elle pleurait.

Son corps tremblait, entraîné par ses hoquets qu'elle ne pouvait, ni d'ailleurs ne cherchait, à réprimer.

Elle allait mieux, c'était fini tout ça.
Fini les ombres, fini les monstres, les craquements et fini cette porte par laquelle étaient finalement arrivés les secours tant attendus.
C'était fini maintenant, elle allait partir, rentrer chez elle, retrouver ses biquettes ou ses moutons, peu importait finalement pourvu qu'elle puisse rentrer chez elle. Et chez elle, elle y fut au moment même où sa mère, après avoir traversé la pièce et s'être assise à ses côtés, lui ouvrit tendrement ses bras.

Lourdement, la petite s'effondra dans ce gouffre de réconfort.

« Ma-aaa-man-aaan-aan. »
Entre deux hoquets, s'échappait ce même refrain de ses fines lèvres. Inlassable, depuis quelques minutes il se répandait dans la chambre tandis que l'enfant, comme un naufragé à sa bouée, s'agrippait à sa mère.
La jeune femme, veillant bien à ne pas relâcher la pression de son étreinte, laissait sa main glisser tendrement au milieu des boucles blondes de sa fille. Elle savait que, là où les mots, plus d'une fois avec Agathe avaient échoués, le langage du corps comme disait la psy, réussissait toujours. Ou presque. Mais cette nuit leur était favorable et la mère sentait déjà son enfant, épuisée, se détendre dans ses bras.

Elles restèrent longtemps comme ça. Là, l'une dans les bras de l'autre, sur le bord de ce petit lit d'ami d'une vieille maison de Corrèze. Et elles auraient pu s'endormir comme ça, là, l'une dans les bras de l'autre, si la petite, dans un sursaut, n'avait pas prévenu : « pipi ».

On ne résiste pas à ce genre d'appel. Il fallait y aller, et la petite le sentait bien. Mais aller où ? Là était plutôt le problème. Surtout pour la jeune Agathe qui ne pouvait envisager de s'y rendre seule et qui, à ce moment, était bien contente de sentir sa main dans celle de sa mère.

Les toilettes, ou plutôt le cabanon qui faisait office de toilettes, étaient au fond du jardin.

bleue aux yeux blondesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant