E comme Enfance

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Elle tira la couverture à elle. Elle avait froid.

Elle venait de se réveiller, mais la nuit, semblait-il, était encore loin de se terminer.

D'un oeil inquiet et attentif, elle auscultait la pièce encore inconnue. La veille, elle n'avait fait que la traverser avant de s'effondrer sur le lit.
Les meubles qui l'entouraient étaient bien silencieux et les murs bien trop froids pour qu'elle ne s'y sente bien.

Tout ça manquait de moutons.
Elle ferma les yeux et tenta de se figurer ceux que sa mère avait un soir apportés pour remplir un papier peint jugé trop terne et si peu enfantin.
Elle était bien là dans ses rêves avec son troupeau. Si bien qu'elle voulait partir avec eux, elle le voulait très très fort. Si fort que ses petits doigts s'étaient mis à serrer fermement le drap. Si fort que, si elle avait pu partir, là maintenant, elle serait partie avec la couette. Les yeux fermés, elle était avec eux; comme Heidi, la petite fille de la montagne. Elle aimait bien Heidi et Heidi l'aurait sûrement bien aimée aussi. « Mais Heidi c'est des biquettes qu'elle a, pas des moutons » venait-elle de penser, l'air boudeur. Et c'était décidé, les moutons de sa chambre deviendraient des biquettes.

Ce n'est pas plus compliqué que ça la vie à six ans.
Parce que oui, Agathe avait six ans, une pile qui semblait ne jamais vouloir se décharger, des cheveux jaunes, des yeux bleus, un regard de pirate et le chapeau qui va avec.
Oui, elle aimait bien les pirates aussi. Les pirates et les biquettes.

Elle rouvrit les yeux et, de nouveau, sembla découvrir ce monde qu'elle ne connaissait pas.
Oh zut! Elle était toujours là, seule; doudou oublié dans la salle de classe, et, comme lui, elle attendrait.
Elle attendrait qu'on se rende compte de l'oubli fâcheux et qu'on accoure réparer l'erreur.
Malgré l'obscurité de la chambre, elle fixait la large porte, fermée comme dans une prison, qui allait s'ouvrir d'un moment à l'autre, claquant d'excuses.

Dans la pièce, les volets qu'on avait tirés, à l'arrache il faut le dire, filtraient de tendres et curieux rayons de lune qui se glissaient à ses côtés. La plupart cependant, allaient se jeter un peu plus loin, là-bas, contre un mur, et paraissaient donner vie à quelques bricoles jusque-là inanimées.
Des créatures faites d'ombre et de lumière naissaient dans l'imagination de l'enfant. Et, lorsque, troublant le silence de ses rêves, les phares d'une voiture égarée agrandirent soudainement ces bêtes, les mettant en mouvement tant sur les murs que dans son esprit, un cri lui échappa : « MAMAN ! »
Presque aussitôt, comme horrifiée de ce qu'elle venait de faire, la petite s'écrasa les deux mains sur la bouche, s'empêchant toute récidive.
Elle s'était trahie, toute seule, comme une grande. Les monstres ne pouvaient désormais plus ignorer sa présence et même le plus bête d'entre eux aurait compris où elle était cachée. C'en était fini d'elle.

Là-bas, les ombres qu'elle avait vues s'agiter semblaient pourtant s'être calmées à moins, bien sûr, qu'il ne s'agisse d'une ruse pour tromper sa vigilance. Si tel était le cas, c'était mal connaître Agathe, chasseuse de fantômes aguerrie. Et passé la surprise, elle était toute prête à veiller pour protéger ses arrières comme le feraient Samy et Scooby dans une pareille situation.
Enfin non, ces deux là sont des trouillards pensa-t-elle soudainement amusée d'avoir pu ainsi se comparer, elle, redoutable guerrière et pirate sanguinaire, à ces amateurs de pizzas en tout genre.
Et, dans cette nuit peuplée de créatures toutes plus redoutables les unes que les autres, un léger rire d'enfant lui échappa.
Cette fois pourtant, elle n'eut pas le temps de punir les fantaisies de ses lèvres innocentes qui s'étaient bien vite refermées d'elles-même.

Un horrible craquement s'était fait entendre.

bleue aux yeux blondesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant