comme Elfe

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« Tes yeux... commença la créature.

- Ils sont bleus. » compléta aussitôt l'enfant, soucieuse de faire bonne impression.

Un silence suivit.

La chose termina de la contempler un instant et acheva : « Ils sont comme les nôtres. ».
Comme les leurs ? Agathe ne comprenait plus bien. Comment aurait-il pu en être autrement ? Des yeux, c'est des yeux pensa-t-elle. Tout le monde a les mêmes. Même Ananas, s'il était permis de douter qu'il n'en ait un jour eu la pleine maîtrise, avait des yeux. Tout cela n'avait aucun sens et venait troubler l'esprit oh combien rationnel vous l'aurez compris, de la jeune Agathe.

La fée pourtant, comme si elle avait pu suivre le cours de ses pensées, lui expliqua : « Ce qui fait l'il, ce n'est pas son existence, c'est sa capacité à voir. Et d'ailleurs si tu veux tout savoir, ton lapin est aveugle de naissance. » Le regard de l'enfant brilla. Elle allait embrayer sur la cécité du rongeur, sujet qui visiblement n'intéressait qu'elle, lorsque l'autre reprit.

« Tes yeux sont purs. Purs comme la rosée, purs comme le jour. Ils sont purs comme ceux des Elfes de rivière : purs comme les miens. Tu vois ce que d'autres ne voient pas... Toi aussi tu peux les voir. Tu les as déjà vus n'est-ce pas ? »

Et, comme l'enfant restait interdite devant ce qui lui paraissait un réel charabia – le fait d'ailleurs qu'il soit débité par un Elfe de rivière ne semblant pas lui causer le moindre trouble – l'Elfe précisa : « Les monstres, tu les vois n'est-ce pas ? ».

À l'évocation des monstres, Agathe tressaillit. Elle hocha fébrilement la tête. Oui, oui, elle les voyait, elle les voyait !! Maman disait que c'était faux, que les monstres, ça n'existait pas. Elle ne la croyait jamais si bien que l'enfant avait failli ne plus y croire elle aussi. On lui avait répété à maintes reprises que ces monstres, ces bêtes, n'étaient que des cauchemars, qu'ils ne vivaient que dans sa tête, errant dans son esprit et se nourrissant de ses peurs. Et voilà qu'on la comprenait, qu'on la croyait. La jolie fée bleue connaissait les monstres, elle aussi elle les voyait. Elle aussi, parce qu'elle avait les mêmes yeux.

La fillette ne savait pourtant trop si elle devait se réjouir de la nouvelle. Oui, elle était contente qu'on puisse enfin la prendre au sérieux. Elle n'était pas un bébé et elle n'avait rien imaginé. Elle avait seulement vu. Vu ce que d'autres ne voient pas. En l'occurrence : les monstres. Des monstres qui, contrairement à ce qu'on avait voulu lui faire penser, existaient bel et bien. Et justement, c'est peut-être cette part-ci de l'information qui l'inquiétait.

« Il ne faut pas rester là, ils rôdent ce soir. »

Il fallait partir. L'Elfe ne lui laissa pas le temps d'objecter. Il porta ses deux mains à sa bouche et, glissant ses doigts à l'intérieur, siffla. Agathe ne savait pas faire ça.

Une douce mélodie résonna. Autour d'eux, les points lumineux cessèrent toute agitation et vinrent les rejoindre. Depuis qu'elle était arrivée, la petite s'était concentrée sur la fée qui était venue lui parler, si bien qu'elle n'avait pas vu les autres. Désormais, elle ne pouvait que s'émerveiller de ce qu'elle avait devant les yeux. Elle manqua d'en lâcher Ananas.

Tout plein de fées. Il y avait tout plein de fées. Enfin tout plein d'Elfes de rivière. Agathe n'avait jamais entendu parler d'eux, mais ce devait être pareil que des fées. Ils n'étaient pas vraiment grands. Plutôt petits même ; de la même taille que les oreilles du lapin en fait. Et ils étaient bleus. Ah ça oui, ils étaient bleus. Et à bien y regarder, ce n'étaient pas leurs yeux qui étaient jaunes, mais la lumière qui y semblait y naître.

Avait-elle cette même lumière dans les siens ?

Le temps n'était pourtant pas aux interrogations. Encore moins aussi futiles que celle-là. Autour d'elle déjà les petits êtres s'en allaient. L'un d'eux, celui qui déjà avait semblé s'occuper d'elle l'invita à les suivre : « Tu viens avec ton Pan-Pan ? ». Agathe allait le reprendre, lorsqu'une autre question lui traversa l'esprit. Les fées regardaient donc Bambi ? Mais non bien-sûr, c'était absurde. Les fées n'avaient pas la télé : elles devaient forcément le connaître. Et qui sait, peut-être que si elle était assez sage on le lui présenterait. Cette idée sembla la ravir et, heureuse, elle allait suivre le cortège qui s'était déjà formé lorsque celui-ci, brusquement, s'arrêta.

La fillette, surprise, ne mit pourtant pas beaucoup plus de temps à comprendre ce qu'il se passait. Elle aussi les avait sentis.

Ils étaient là.

Au calme succéda la tempête. Une foudre de panique déchira le ciel et vint s'abattre sur la petite troupe. Les cris jaillirent, les hurlements grondèrent. Les Elfes, affolés, s'envolaient anarchiquement. Fuyant à tout prix.

L'enfant, elle, n'eut pas le temps d'avoir peur.

Elle l'entendit sans la voir. La chose avait bondi et aussitôt refermé ses douloureuses serres sur elle.

Et aussitôt, elle était partie.

Emportant avec elle la fillette.

La fillette et le lapin.

bleue aux yeux blondesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant