bleue aux yeux blondes

S comme Sauvetage

Agathe se sentait ballottée. Il faut dire que ça secouait pas mal.

Mais quoi ? Qu'est-ce qui secouait pas mal ? Elle n'en avait à vrai dire pas la moindre idée. Elle aurait sûrement dû s'étonner de ce qu'il se passait mais pour être honnête, ce n'était pas vraiment le cas.

Dans cette nuit somme toute assez particulière, où elle avait joué à cache-cache avec un lapin et conversé avec un Elfe de rivière avant de se faire enlever par je-ne-sais-quoi, elle restait obnubilée par une question qui véritablement la tracassait : celle des toilettes. Qui avait eu l'idée de mettre les toilettes dehors ?
Sa mère avait essayé de lui expliquer les toilettes sèches, le fond du jardin, les vieilles maisons... Elle n'en avait pas compris le sens. Pourquoi ? La question l'obsédait et pourtant, si la chose était préoccupante, une autre l'était au moins tout autant : où était-elle ?

L'animal – car il lui semblait bien que c'en était un – qui s'était sauvagement emparé d'elle, l'avait laissée dans ce qui s'apparentait à un nid, avant de repartir aussitôt.
À peine était-il parti que Agathe, tentant de recouvrer ses esprits, s'était dressée sur la paille humide. Elle n'avait toujours pas lâché Ananas qui visiblement, commençait à en avoir marre de se laisser balader de la sorte. Elle consentit à lui rendre un semblant de liberté, se rendant compte qu'il ne pourrait finalement pas aller bien loin. Tout comme elle d'ailleurs.

L'endroit était mal éclairé. Il lui fit penser aux cabanes qu'elle se fabriquait avec des couvertures : on était à l'étroit et l'air était chaud, presque étouffant. La petite, particulièrement calme, tournait sur elle-même, observant tour à tour les murs, sol et plafond de la grotte. À ses pieds, le lapin semblait revenir sur sa volonté d'émancipation qu'il jugeait probablement prématurée. Ne pouvant quémander les bras de la fillette, il se contenta de monter s'installer sur ses chaussons. La chose fut vite faite.

L'enfant, bienveillante, allait se saisir du rongeur lorsqu'une douce mélodie l'arrêta. Immédiatement, elle reconnu le sifflement. C'était celui de l'Elfe de rivière. Il venait du fond de la caverne. Soudainement frappée de témérité, elle courut le rejoindre, un lapin affolé sur les talons.

Là où elle arriva, il faisait noir. Une seconde fois, le sifflement se fit entendre et, si son écho répété par les parois la désorienta un instant, elle ne mit pas longtemps à en trouver la source. De petites lumières jaunes brillaient péniblement dans un coin. Agathe s'approcha et, un curieux mélange de méfiance-curiosité sur les lèvres, elle chuchota : « Petits z'Elfes ? » Elle avait retenu le mot : ce n'était pas pareil que des Fées.

Une petite voix lui répondit : « Viens te cacher avec nous, sinon à toi aussi ils vont te les prendre. » Elle n'eut pas le temps de penser « quoi ? », « qui ? » « pourquoi ? » que déjà la voix lui répondait.

« Les monstres, c'est pour ça qu'ils t'ont amenée ici. Pour te prendre tes yeux. Ils veulent ce qu'il y a dedans. L'Elfe énuméra : l'innocence, le rêve, le courage, l'espérance... ».

Derrière lui, une autre voix, presque mélancolique, ajouta : « ils veulent la beauté du monde.

- Exactement, et à nous, ils l'ont pris.

- La beauté du monde ? interrogea Agathe.

- Un peu, oui. Mais l'innocence, le rêve et le courage essentiellement. Il nous reste l'espérance, c'est pourquoi nous attendons.

- Vous attendez quoi ? la petite était, décidément, de plus en plus intéressée par la conversation.

- Mais les secours pardi ! Que veux-tu que l'on attende d'autre ? ».

Elle n'avait rien à répondre à ça. Elle aussi était d'avis qu'il valait toujours mieux attendre les secours. N'était-ce pas ce qu'elle-même avait entrepris un peu plus tôt lorsqu'elle avait entendu le bruit ? Elle y pensait et justement, une remarque lui vint à l'esprit : « Moi ils ne sont pas venus. J'avais peur mais après on est partis tout seuls avec Ananas parce que Maman elle était toujours pas là.

- C'est vrai, reprit la seconde voix. Ils ne viendront peut-être pas, mais c'est tout ce qu'il nous reste.

- Pourquoi ? questionna, encore une fois, la fillette.

- Mais parce que, répéta l'autre, ils nous ont pris le reste. On aurait dû partir quand on avait encore le courage, mais on ne l'a plus. C'est trop tard.

- Mais, hasarda Agathe, moi je l'ai encore, le courage. »

La lumière dans les yeux de l'Elfe sembla s'intensifier. L'espérance, nomma mentalement l'enfant, heureuse de voir qu'elle avait compris.

« Mais oui ! Mais oui ! s'exclama la bestiole. Prends nous avec toi et sauve nous d'ici ! ».

Il fallait faire vite. En un tour de main, Agathe avait récupéré son lapin tandis que les deux Elfes avaient pris place à bord de son chapeau de pirate. La petite allait mettre les voiles lorsque l'un d'eux précisa : « Il faut récupérer Spoc. Ses yeux ne brillent plus, ils lui ont pris l'espérance. On risque d'avoir du mal à le trouver...». Et, comme il finissait sa phrase, la fillette remarqua la soudaine tranquillité du rongeur.
De sa main libre, elle faufila un petit doigt sous les babines de l'animal qu'elle souleva assez pour laisser découvrir le maigre corps. Le lapin, baissa la tête, honteux, tandis que l'ayant saisie par les ailes l'enfant déposait la chose sur son couvre-chef accompagnée d'un filet de salive. « Ah bah ça alors!! C'est Spoc! laissa échapper une des créatures, presque incrédule.

- Il a du flair ton Pan-Pan, souligna l'autre.

- Il s'appelle Ananas, s'empressa de rectifier Agathe. Puis, comme se rappelant qu'il existait des formules de politesses qui devaient aussi sûrement avoir cours chez les Elfes : Au fait, comment vous vous appelez ?

- Moi c'est Zbi, lui c'est Shtrouc et le désespéré, c'est Spoc.

- On tient notre nom du bruit que fait notre coquille à notre naissance, expliqua la voix mélancolique qui devait, selon toute vraisemblance, être celle de Shtrouc. Et toi alors, poursuivit-il, tu t'appelles comment ?

- Moi c'est Agathe !

- Et bien Agathe, allons-y ! » s'exclama Zbi comme il aurait crié «Hue! » à un poney.