comme Fuite

27 9 10
                                    

« Non pas toi ! Reviens ! ».
C'en était trop, elle allait se remettre à pleurer. Les yeux brouillés de larmes, elle distinguait l'animal qui s'en allait, presque titubant. Il n'allait pas vite. C'est vrai, il n'allait pas vite ; il partait tranquillement, mais il partait.

« ANANAS REVIENS !! ».

Se redressant tout à fait, elle s'élança à sa poursuite. L'autre, bénéficiant tout de même d'une certaine longueur d'avance, se baladait. Il traînait nonchalamment son petit corps, percutant parfois des branches disposées en travers de son chemin. À vrai dire, il errait plus qu'il ne se baladait. Changeant de direction inopinément, tournant sur lui même, trébuchant sur ses pattes, revenant sur ses pas. Curieux ballet que celui auquel se livrait le lapin.

« Mais t'es aveugle ou quoi ? » gémit l'enfant qui décidément, peinait à le suivre dans cet étrange manège. Aveugle ou débile pensa-t-elle sans pourtant émettre cette idée à voix haute, de crainte que son fugitif ne l'entendit. Il s'agissait de ne pas le vexer.

Ananas, profitant de sa taille, se glissait dans les coins les plus saugrenus. Agathe, jouissant d'une agilité courante à son âge, le délogeait toujours et le lapin, comme se prenant au jeu, courait se réfugier plus loin. Ces manuvres avaient commencé par agacer la fillette qui s'en amusait désormais. Si bien d'ailleurs qu'elle en oubliait de vouloir l'attraper ; trop occupée qu'elle était à rire de la fuite de ce dernier qui détalait à toutes pattes lorsqu'elle surgissait.

« BOUH ! BOUH ! BOUUHHH ! » rugissait l'enfant, toutes dents dehors, surprenant le lapin au détour d'une touffe d'herbe.

Il ne l'a voyait jamais arriver, c'était drôle.

Les deux amis s'adonnaient à un curieux jeu de cache-cache. Elle, bondissait ça et là et lui, se carapatait dans de fameux sprints. Il s'enfuyait, galopant, et quelques centimètres plus loin, se prenant les pattes dans je-ne-sais-trop-quoi, s'étalait de tout son long.

Une succession d'actions qui avait à chaque fois le don de faire glousser la fillette un peu plus fort.

Là, dans la nuit qui se poursuivait, ils jouaient. Criant, courant, cascadant, grimpant, tombant et repartant de plus belle. Ils passaient entre les arbres, sautaient au dessus des pierres, traversaient les feuillages et évitaient les racines. En voilà une justement qui se présentait à eux. Si grande que la petite s'arrêta un instant, curieuse de voir comment l'animal allait franchir l'obstacle. Ananas pourtant, imperturbable, continuait sa course effrénée sans y prêter la moindre attention : il était passé dessous le plus naturellement du monde. Il faut dire que la racine était énorme ; elle était même gigantesque.

Forte de ce qu'elle venait de voir, avec le regard coquin de l'enfant qui s'apprête à faire une bêtise, Agathe s'y jeta à son tour. À la suite du petit animal, elle glissa sur la terre humide. Rampant sur la pelouse, elle se faufila sous la branche terrestre et, se redressant aussitôt de l'autre côté, courut rejoindre son acolyte.

Quiconque aurait vu cette fillette courir derrière ce lapin aurait trouvé frappant le parallèle avec l'histoire de la jeune Alice. À la différence près pourtant, que ce lapin-ci - dépourvu de montre à gousset - ne s'inquiétait pas d'être en retard où que se soit. Non pas d'ailleurs qu'il fut à l'heure. Simplement qu'il n'allait nulle part. Ou plutôt nulle part de précis, car il allait effectivement quelque part, sans vraiment trop savoir où. Il allait où ses pattes le portaient et croyez-moi, c'était déjà bien assez.

Les deux compères s'amusèrent longtemps de la sorte.

Lorsqu'ils s'arrêtèrent enfin, Agathe reprenant son souffle et Ananas s'étant vautré, ils étaient dans une petite clairière.

bleue aux yeux blondesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant