Chapitre 1

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Port Balfonheim[1], 645-646 du calendrier valendien[2].


Le soleil tapait fort sur les vitres du calme logis de la rue Saccio.

— Quelqu'un arrive ! cria une voix de fille.

— Sûrement pas un prétendant pour toi, ajouta une seconde, plus grave.

— Tu ne peux pas savoir ! s'exclama fermement une troisième voix, enfantine, qui tentait de couvrir les rires des deux autres et s'approchait de l'entrée.

Dans le vestibule désert, constitué de carreaux verts encadrés par des murs blancs et des piliers de marbre, ainsi que d'une table noire et de fauteuils gris, un homme d'une quarantaine d'années, vêtu ainsi que les nobles d'Archadès[3] d'un long costume brodé, s'avança et posa ses lunettes sur la table basse. Son expression était fort sévère, quoique marquée d'une pincée d'anxiété. Il portait une barbe et des chausses courtes et brunes. Ces dernières martelaient le dallage vert de coups décidés tandis qu'il s'avançait vers la porte d'entrée.

Lorsqu'il l'ouvrit, la lumière envahissante découvrit la tête d'un homme grimaçant. Elle n'était pas chauve comme celle de la plupart des pirates de la ville, mais arborait au contraire une longue chevelure noire et crasseuse. Ses yeux étaient comme deux gerçures pétrifiantes, fixant résolument le professeur sans aucun mouvement de leurs pupilles sombres. Il portait des habits également d'un noir délavé, deux boucles à l'oreille droite, ainsi qu'un ample sac de tissu de sa main droite sur son épaule gauche. Le gentilhomme l'observa en silence.

— Professeur Denkel ? demanda le visiteur.

— Lui-même, répondit Denkel d'une voix sèche.

L'autre homme s'appuya alors contre le bord de la porte et se courba dans un soupir de fatigue. Haletant, il releva sa tête :

— Je n'ai pas pu venir plus tôt... je voulais vous prévenir mais je n'avais ni lettre ni messager ni vaisseau[4] pour que vous soyiez plus vite au courant...

— Si vous saviez dès le début que vous ne pourriez arriver à temps, pourquoi ne m'avoir point conseillé d'envoyer un autre à votre place ? dit Denkel d'un ton strict et rapide.

— Je ne savais pas que je ne le pourrais pas ! se défendit l'homme. Et je comptais aller à Port Balfonheim quoiqu'il arrive.

Un silence d'acier s'installa de part et d'autre de la porte. Le professeur Denkel le brisa brutalement :

— Le colis ?

— Je l'ai, répondit l'autre plein d'espoir en se retournant pour fouiller son sac.

Mais, immédiatement, il arrêta son geste en fixant le professeur. Il lui tendit alors sa marchandise pour qu'il y cherchât lui-même son dû.

Denkel s'en empara d'un coup sec et ses yeux balayèrent le fond du sac, qui fourmillait de guêtres, de vestes, de jupons et de rubans.

— Je crois qu'elle est au-dessus, indiqua le vendeur.

Le professeur sortit une ample robe verte à volants et la contempla longuement. Il laissa tomber le sac.

— Êtes-vous sûr que cela vient d'Archadès ?

— Je l'ai sorti moi-même de l'atelier, répondit plaintivement le vendeur.

Le professeur Denkel saisit l'étoffe de ses mains et la palpa. À ce moment, une ombre surgit de derrière le pilier le plus proche du reste de l'appartement. Le vendeur leva sa tête vers elle sans que la lueur ardente d'espoir ne quittât ses yeux noirs. Le professeur se retourna vers une fille d'un jeune âge qui avançait à petits pas.

— La voilà enfin ! lui dit-il en levant la robe. Tu ne pourras plus être jalouse de la garde-robe de tes sœurs avec ça.

La jeune fille, dont il attendait visiblement une réponse, ne se tourna pas vers lui mais vers l'homme qui attendait, gêné, derrière lui. Souriante, elle acquiesça enfin et prit la robe des mains de son professeur avant de reculer timidement. Ses petits yeux ne semblaient pas avoir changé de spectacle.

— L'essentiel est qu'elle l'ait, déclara Denkel d'une voix plus calme.

Il effectua un pas vers le côté. L'écho du son de ses lourdes chausses secoua les deux autres qui fixaient le fond de la pièce, où progressait rapidement une autre jeune fille, vêtue d'une courte robe verte également. Celle-ci tendit un petit coffret de jade au professeur Denkel. Il l'ouvrit et en sortit une poignée de pièces brillantes, qu'il mit dans la main du vendeur éberlué, agenouillé pour ramasser celles qui coulaient d'entre ses doigts comme un explorateur déterre un trésor. Il vit alors avec le même effarement des pièces supplémentaires tomber, ajoutées sans doute dans un accès de pitié. Lorsqu'il se releva, la demoiselle à la courte robe et le coffret avaient disparu, mais l'enfant se tenait toujours derrière son pilier, le fixant de sa face pleine d'espoir, tandis que le professeur Denkel avait à nouveau sa main sur la poignée. Rangeant sa récompense, il se tourna vers celui-ci et le salua d'un prompt signe de tête avant d'examiner encore le fond du vestibule, de prendre une longue inspiration et de s'en aller.

La jeune fille resta plantée ainsi que le pilier derrière elle, son sourire à peine déconfit.

— Pourquoi n'irais-tu pas l'essayer ? proposa la voix de Denkel qui se retirait à son bureau. Peut-être n'est-elle pas tout à fait à ta taille, malgré les mesures que nous avons faites.

Obéissant à cet ordre, elle retourna enfin dans sa chambre, une petite pièce du rez-de-chaussée proche du vestibule et bondée de livres de toutes sortes. Un long miroir se tenait près de son lit défait. La jeune fille verrouilla sa porte et se plaça en face de lui. Sa démarche gauche, sa petite taille et sa face ronde que fendait toujours un large sourire lui donnaient une apparence infirme, bien que sa santé ne manifestât pas de grave défaillance. En se déshabillant, elle remarqua à quel point elle était maigre, plate ainsi qu'un serrasalmus[5] sans nageoires. Elle était pourtant comme un poisson dans l'eau au sein de son environnement : ni ses sœurs, ni ses cousines, ni celles qui les éduquaient n'avaient eu à se plaindre de sa conduite sinon de son goût un peu trop prononcé pour l'étude et de la négligence de sa physionomie. Elle les ignorait, et répondait gentiment à toutes les remarques qu'on lui pouvait faire, toujours avec son ineffaçable sourire. Elle secoua ses courts cheveux cuivrés et perdit tout d'un coup son enthousiasme. Ses petits yeux bleu turquoise contrastaient avec le regard sombre, vaste et enchanteur des femmes de sa famille. La jeune fille blêmit et pinça ses lèvres dans une expression de profond regret de tout ce qu'elle voyait dans son miroir. Enfilant sa nouvelle robe, elle tourna sur elle-même et reprit un peu de couleurs. De jolis fils blancs décoraient son habit, et en dansant de plaisir dans sa chambre l'image sur la glace froide devenait presque gracieuse.

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[1] A propos de Final Fantasy XII : Port Balfonheim est une ville portuaire rattachée à l'empire d'Archadia, où se déroule l'intrigue. Elle abrite principalement des marchands et des pirates

[2] A propos de Final Fantasy XII : Valendia est l'un des trois continents du monde d'Ivalice où se déroulent l'intrigue et le jeu, avec Ordalia et Kerwon.

[3]A propos de Final Fantasy XII : Archadès est la capitale de l'empire d'Archadia, situé sur le même continent de Valendia mais à une très grande distance à l'ouest de Port Balfonheim. Elle comporte deux parties : la ville riche, où vivent les personnalités les plus influentes de l'Empire, et la vieille ville, où vivent les exclus et les mendiants.

[4]A propos de Final Fantasy XII : Les vaisseaux aériens sont des appareils volants utilisés très couramment dans le monde d'Ivalice – aussi couramment que nos autocars. Il existe des lignes publiques ainsi que des vaisseaux privés, très utilisés par les personnes les plus aisées ou encore les pirates de l'air.

[5]A propos de Final Fantasy XII : Le serrasalmus est un poisson plat bleu et jaune du jeu.

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