Chapitre 8

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Pendant plus d'une semaine, la fillette persuada chaque matin ses tantes d'aller à une destination différente en leur trouvant des intérêts commerciaux autant que culturels. Elle obtint, pendant cette même semaine, de sa sœur aînée, qu'elle rejoignît la grande cousine aux cheveux noirs, en compagnie de l'autre sœur et de la cousine restantes. Pendant qu'elle passait ces journées dans sa chambre en compagnie du marchand aux longs cheveux crasseux, elle ne guettait que le retour du professeur Denkel. Interrogeant les passants par la fenêtre, elle faisait toujours sortir Vayne avant que le professeur ne fût rentré. Elle lui donnait des gils qu'elle trouvait dans les tiroirs de sa chambre ou ceux d'une chambre de l'étage, et lui cuisinait toutes sortes de plats à base de poisson. Elle se regardait de moins en moins devant le grand miroir et, les rares fois qu'elle le faisait, elle souriait toujours en ôtant sa robe verte, bien qu'elle ne fût pas plus grosse que les mois précédents. Les tendres caresses qu'elle prodiguait et qu'elle recevait suffisaient à maintenir ce sourire sur sa figure ronde, jusqu'au moment où elle se retrouvait seule, et où elle prétextait toujours une migraine ou une forte fatigue pour prendre un léger dîner et s'en aller dormir. De la sorte, le lit restait toujours défait, et renfermait chaque soir et chaque matin ses éveils désirés et ses désirs éveillés. Lorsqu'elle partait à la recherche de Vayne, après que l'appartement fût vidé de ses âmes, et qu'on lui demandait qui était ce vendeur ambulant au bras duquel elle s'accrochait, elle répondait à qui voulait l'entendre : « C'est mon amant », et poursuivait son chemin, sous le regard offusqué des pirates et des dames.

Le neuvième soir Vayne se rendit à l'Ecume des Flots et se dirigea vers le tavernier.

— Tavernier, dit-il, que sais-tu de la fille de Denkel ?

— Pardon ? demanda le tavernier, qui récurait l'une de ses tables dans son échoppe encore vide de clients. Il faudrait déjà savoir de laquelle tu parles ; il en a bien six, le vieux fou.

— La dernière.

— Ah, tu veux dire son élève modèle ! que veux-tu que je te dise ? Lauréate du Concours final de l'Académie d'Histoire d'Ivalice, jardinière de l'année 643, elle a même eu un prix militaire l'année dernière grâce à un certain Zecht de ses voisins...

— Merci, ce n'est pas ce que j'entendais, l'interrompit Vayne. Je parlais plutôt de ses habitudes, son caractère...

— C'est tout ce qu'il y a de plus sage au monde, répondit-il gaiement, un petit bout de chou qui n'ose pas regarder les gens en face mais capable de raconter des blagues à te faire pleurer de rire. Elle ne ressemble pas à ses sœurs ; car l'une a la main verte, l'autre coud à merveille, une de ses cousines a le sens de l'organisation, une autre encore est une cuisinière hors pair, enfin une autre est un modèle de politesse ; et ce petit ange est tout cela à la fois.

— Mais, demanda le vendeur intrigué, n'a-t-elle pas un fond pervers, un côté déséquilibré ?

— Ha ! tu veux rire ! cette petite aura toujours la tête sur les épaules, quand sa famille entière se serait fait décapiter. Tu entends ça, Marina ? Il pense que la petite dernière de Denkel est une inconsciente...

La serveuse de l'établissement arrivait allègrement et se tourna vers son employeur avant d'éclater de rire à son tour.

— Laissez-moi vous dire une chose : Ivalice explosera deux fois avant qu'une once de folie n'ait pu traverser l'esprit de la Sagesse même. Pauvre enfant, elle m'aidait toujours en cachette à ramasser les couverts et à calmer les clients qui voulaient m'assommer à coups de bouteille. Non, vous dis-je : c'est une élève aussi sérieuse que son professeur. Tavernier, ils ne veulent pas me livrer la cargaison ; ils réclament deux mille deux cents gils.

Crimson BirthOù les histoires vivent. Découvrez maintenant