Chapitre 7

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Les jours suivants furent moins venteux mais semblables concernant les sorties de la fillette et son attitude. Peu après, lorsque le professeur rentra seul, elle cessa ses recherches et se contenta de mettre davantage d'ordre dans l'appartement, examinant attentivement chaque objet qu'elle rangeait. Dans la demeure ne restait plus, en plus du professeur, des deux tantes et d'elle-même, que la sœur qui l'avait vue servir Vayne, et deux autres filles plus jeunes. Aucune de ces personnes ne prit le temps de discuter ou de la questionner, mis à part elle-même. Un après-midi nuageux, comme elle s'était levée après que tous eurent déjeuné, elle s'habilla de la même façon que lorsqu'elle allait se promener et sortit.

Elle se dirigea vers la rue des embruns, et eut un large sourire en arrivant devant l'enclos des chocobos. Elle sortit de sa poche un légume Gysahl[21] et le chocobo le plus proche l'avala.

Peu après, elle tourna à gauche, vers la grange où étaient entassées les herbes qui servaient à nourrir les montures. C'était un bâtiment sombre et spacieux, avec plusieurs salles où étaient empilées des anciennes caisses à légumes. L'endroit sentait à la fois le moisi et l'excrétion, et la jeune fille continuait d'avancer en souriant. Elle arriva à l'une des salles d'où sortait un bruit de pièces et y trouva Vayne et son sac pris entre des centaines de gils.

— Vous avez bien assez pour rentrer, maintenant ? dit-elle d'une voix douce.

L'homme releva une tête extrêmement surprise et répondit sourdement :

— Bien assez, en effet, même si Archadès est plus loin que ce qu'on dit. Je suis venu ici en vaisseau mais je n'aurai pas cette chance au retour.

— Dans ce cas, vous rentrerez tantôt ; c'est en tous cas ce que m'a assuré le tavernier.

Vayne retint sa respiration et soupira en baissant la tête.

— N'est-ce pas ? l'encouragea la petite Larse.

— Je vous ai dit que cette ville me faisait peur, répondit-il enfin en retournant à ses pièces. Je suis décidé à rentrer mais je ne trouve pas le courage de le faire. Et plus je reste au port, plus je dépense.

— Je suis sûre qu'elle est moins effrayante que ce que vous croyez, dit-elle. J'y suis allée étant petite ; j'y allais régulièrement jusqu'à ce jour, où, il y a un an, je suis allée chercher mon diplôme. Je n'en garde que de bons souvenirs. Vous avez une autre raison de refuser de rentrer chez vous et vous refusez de me la dire.

Vayna ignora ses paroles et recommença à compter son argent.

— Que comptez-vous faire de ces gils ? Si vous ne rentrez pas, vous resterez encore au port, et si vous restez au port, vous n'aurez bientôt plus de gils. Oh, ce n'est pas moi qui vous empêcherai d'en avoir de nouveau ; mais, voyez-vous, il vaut mieux changer d'air, autrement je finirai par être trop vieille pour vous aider, et trop vieille pour partir. Et je me suis juré de partir avant que d'être vieille.

— Quand avez-vous fait une telle promesse ? demanda Vayne, ayant cessé de pousser ses pièces mais ne les quittant pas des yeux.

— Le jour où je vous ai vu, avoua la jeune fille du même ton plein d'espoir.

Le vendeur saisit ses pièces par poignées et les glissa dans son grand sac. Il releva la tête vers l'enfant qui patientait.

— Voulez-vous que je vous dise ? Vous êtes une grande folle.

— Je me sens... attachée à votre personne, ajouta-t-elle dans la foulée.

— Les plus vilaines cordes sont les plus difficiles à dénouer, déclara Vayne.

— Attachée de telle sorte que si vous partiez sans moi, je mourrais ici-même.

— J'en serais navré.

— Que ma folie vous perturbe, j'en suis tout aussi navrée. Mais laissez-moi vous faire une confidence : elle me console.

— Il n'y a pas de consolation à être aliéné. Reprenez vos esprits.

— Il y a dans ce que vous appelez ma folie quelque chose que personne d'autre que nous ne peut mesurer. Elle me fait voir le monde par une brèche salvatrice : il suffit de m'écouter et de me suivre. Il y a dans la misère que tu crains une richesse que même tes rêves t'occultaient ; il y a dans ta peur d'Archadès des soupirs et des petits secrets dont la vérité éclatera même à la fin des temps ; il y a dans notre royale union dont tu te défends un bonheur tel que les dieux nous envient. Il y a dans tes lèvres d'homme un parfum auquel je n'aurais jamais goûté sans ta rédemption...

Aussitôt elle grimpa sur ses genoux et colla sa bouche contre la sienne.

Vayne attendit quelques instants, puis enlaça la jeune fille, qui continuait de murmurer, et l'emmena tomber sur une botte d'herbes folles.

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[21] A propos de Final Fantasy XII : Les légumes Gysahl sont la nourriture préférée des chocobos.

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