48 - Expériences

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Le professeur avait demandé à Naomi de refermer la porte, et sans même penser à attendre les deux Elémentaires, il tapa dans ses mains pour attirer l'attention de tous et enfin commencer. Le cours se passa sereinement, sans le moindre heurt, il fallait avouer que l'absence d'Alex et Lanna diminuait considérablement les facteurs de tension. Naomi assise comme à son habitude au premier rang, écoutait sagement les explications du professeur.

          - Ce qui faut retenir, disait il, c'est que nul ne peut vraiment dire ce que ressent l'autre, comme nous l'avons vu le langage est imparfait pour pouvoir exprimer justement ce que nous ressentons. Ainsi il est impossible de savoir si ce que nous expérimentons avec nos sens est réel, car il n'y a pas d'autre voie que les sens pour nous mettre en contact avec le monde.

Une élève, Lidia Ensidiod leva la main.

         - Mais monsieur, ça veut dire que si ça se trouve vous n'existez pas ? Rien autours de nous n'existe ?

Monsieur Malleval eut un léger rire.

          - En effet Lidia, c'est tout à fait exact. Rien d'autre que mes sens ne me dit que vous êtes bien là devant moi. Ce qui m'amène au sujet que je souhaitais aborder avec vous en cette...- il regarda sa montre- Fin de cours : Si, en admettant que nous tous ici sommes bel et biens réels pour tout le monde, nous avons des perceptions différentes il ne faut pas s'étonner que nous réagissons différemment. C'est ce que nous allons étudier, l'incidence de l'expérience dans le processus de prise de décision d'un individu.

Sa déclaration laissa un silence planer sur la salle, la résonance du thème qu'ils allaient aborder était visible pour tous, certains en profitèrent pour jeter un regard en biais à Naomi. Avait elle réellement des raisons d'agir comme elle l'avait fait, comme pour confirmer l'intuition générale le professeur ajouta.

            - Car, nous avons tous une bonne raison, personne n'a véritablement raison ou totalement tord, cette leçon vous sera utile à vie et vous permettra de relativiser sur beaucoup de sujets.

La sonnerie de 10h l'empêcha de continuer d'avantage mais il était clair pour tout le monde que cette leçon tirait son origine des événements récents. Tandis que les murs tremblaient, à cause de la foule d'élèves qui quittait le bâtiment dans un brouhaha phénoménal, les élèves de la classe de philosophie rangeaient leurs affaires dans le calme et disparurent dans la foule déjà compacte de collégiens qui chahutaient devant leurs salles respectives.

Quand Naomi quitta la salle à son tour, le professeur la gratifia de nouveau d'un signe de tête amical, décidément songea-t'elle, elle n'avait pas pensé que son intervention la veille lui vaille tant de distinction de sa part, lui qui était si distant avec ses élèves. Mais elle devait se rendre à l'évidence, prendre sa défense lui avait assuré un allié. Il avait, contrairement à beaucoup, confiance en elle, et se méfiait des puissants Elémentaires, au delà de ça même, pensa Naomi, il était estimé dans la salle des profs, un professeur de philo ça fait toujours bien dans la liste des soutiens. Un sourire moqueur se peint sur ses lèvres, elle en devenait politique, les Elémentaires l'avaient bien changé. Elle traversa la fin du couloir du troisième étage et obliqua vers l'aile gauche où se trouvait sa salle de littérature britannique. Ça avait beau être l'heure de la récréation, elle n'avait pas particulièrement envie de s'offrir un bain de foule dans la cour basse, sa cote de popularité n'étant pas vraiment au plus haut. Elle jeta son sac devant la porte de la 339 et s'appuya contre le radiateur installé devant la fenêtre, et laissa son esprit vagabonder. Il ne vagabonda pas longtemps et lui rappela bien vite la scène qu'elle avait surprise entre Alex et Lanna avant le cours de philo. Ainsi donc, Lanna avait véritablement trouvé un chevalier servant, une part d'elle se réjouissait de cette nouvelle, elle allait enfin pouvoir vérifier si l'amour rendait vraiment aveugle. Cependant, cette découverte laissa apparaitre une blessure dans son coeur, une blessure que même le temps n'avait pas réussi à cicatriser, l'espace d'un instant le vert refit son apparition dans les méandres bleu de ses iris. L'amour... Voila bien une émotion qu'elle n'appréhendait pas très bien, même avant de découvrir ces capacités elle n'avait jamais connu cette sensation, les relations avec les autres lui avaient toujours paru quelques peu obscures, plus encore celle avec les garçons lui étaient complètement étrangères. C'était le genre de cicatrice que l'on garde quand on a jamais vraiment connu son père, elle avait une relation quasi fusionelle avec sa mère, mais cela ne lui avait jamais véritablement appris à... Aimer. Elle s'était renfermée sur elle-même, ne révélant ce qu'elle était qu'à une poignée de gens autours d'elle. Perdre un parent jeune, c'était l'assurance de comprendre le plus tôt possible que l'amour blessait, alors Naomi avait appris. Elle comptait les gens importants pour elle sur les doigts d'une seule main, une manière pour elle de limiter la casse. Si elle devait à nouveau perdre quelqu'un, si elle devait à nouveau pleurer une absence, si elle devait souffrir du manque, elle voulait être sûre que cette personne valait vraiment la peine.

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