56 - Repas de famille

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Lanna se plaça devant le miroir et s'appliqua à faire apparaitre un visage neutre. Elle devait rentrer dans son role, celui de la gentille fille soumise, transformer la brebis galeuse en adorable agneau. Elle cligna plusieurs fois des yeux, expira profondément et franchit la porte. Elle traversa le couloir plongé dans une semi obscurité pour rejoindre la pièce principale qui était à peine éclairée par un gigantesque lustre poussiéreux. Lanna tira sur sa longue jupe en laine qui la grattait furieusement avec humilité, elle entrait dans son role. La salle à manger était bondée, leurs voisins de palier les avaient rejoint pour le repas si bien que la pièce déjà encombrée de meubles volumineux semblait minuscule. Les multiples bibelots : publicités, crucifix, icônes, et le bazar de la vie quotidienne contribuaient également à cette désagréable sensation d'écrasement.

                - Enfin te voila ! Clama une voix qui lui déclencha des frissons dans tout le corps.

Léopold trônait au milieu des invités, ses yeux bruns brillant d'un éclat sombre. Lanna avala sa salive.

               - Pardon père, j'étais perdue dans mes pensées... s'excusa Lanna d'un ton qu'elle espérait neutre.

HU-MI-LI-TÉ c'était le maitre mot qui devait guider ses actions. Elle s'avança jusqu'a la table pour rejoindre sa place. La table était déjà mise mais sa mère était toujours dans la cuisine. Léonie se présenta derrière elle et s'assit mécaniquement à sa droite.

              - Louison ! Le repas est il prêt ? Demanda Léopold d'une voix forte. Il est l'heure !

Louison, leur mère apparut dans l'embrasure de la porte. Ronde, vêtue de grands vêtements amples de couleurs sombres elle était l'incarnation de la femme au foyer soumise à son mari, tout ce que Lanna détestait. Elle ne voulait le montrer mais sa mère lui faisait honte, elle était au antipode de tout ce que Lanna respectait : ni belle, ni forte, et encore moins courageuse. Néanmoins elle était sa mère, la seule à la maison susceptible de lui prodiguer un tant soit peu d'amour et d'attention. Elle détourna son attention vers son père qui s'éclaircissait la gorge, Lanna cligna furieusement des yeux pour masquer son envie de lever les yeux au ciel... Et c'était parti pour la prière... Elle afficha un sourire apaisé et tenta de paraitre admirative.

Autours de la table tout les invités se turent et braquèrent leurs yeux sur Léopold qui trônait comme un roi en bout de table. Il se délecta du silence un instant avant de prendre la parole d'un air solennel.

               - Bénis Seigneur le pain que tu nous donnes, procure aussi du pain aux affamés ; nous t'en prions, Seigneur Jésus, pardonne aux malheureux qui n'ont pas su t'aimer. Bénis le labeur des paysans de France, maître des moissons. — Lanna ouvrit un oeil discret, ils avaient tous les paumes jointes, et les yeux fermés, elle esquissa un sourire moqueur en songeant qu'ils avaient la même attitude que les puritains du documentaire qu'ils avaient regardés en classe d'anglais quelques semaines auparavant, en deux mots totalement anachronique — Fais que leurs efforts assurent à tous nos frères, le pain quotidien ; et s'il vient un jour à manquer en France, souviens-toi de ce jour où pour une foule immense, tu le multiplias. — Lanna étouffa un bâillement, il inspiré ce soir...— Seigneur, bénis cette table, et que ta main secourable, nous donne à tous le pain et le vin quotidiens. Père des cieux, sois béni pour le repas fraternel; et puisque l'homme ne vit pas seulement de pain, donne-nous faim de ta Parole. — Mon dieu ce qu'il était hypocrite ! Lui qui qualifiait souvent l'étranger de menace, qui vilipendait les moeurs plus légères des villes et qui traitait d'enfant du péché tout ceux qui osait contredire sa parole ou vivait différemment — En mangeant le même pain, que le même amour divin nous unisse à tous nos frères, nous unisse à notre Père. Amen.

Léopold ouvrit les yeux et fit signe à la tablée de commencer le repas puis se tourna vers Lanna alors que celle-ci tendait son assiette vers sa mère pour qu'elle lui serve l'entrée.

             - Lanna ! L'appela-t'il avec sérieux.

Elle avala sa salive avec appréhension, ça aurait été trop beau qu'il ne lui fasse pas de sermon personnalisé pendant le repas...

             - Oui, père dit elle d'une voix mielleuse dans l'espoir d'imiter la jeune fille modèle qu'elle devait être.

            - Te rappelle-tu la leçon que je t'ai enseigné hier soir ? Dit il d'une voix sévère.

            - Oui, père je m'en rappelle tu m'a appris que le monde extérieur était corrompu et qu'il tente les faibles d'esprit.

           - Et dis-moi pourquoi t'ai-je enseigné cette leçon ?

Lanna sourit naïvement, pour me pourrir la vie ? Pour me « rétablir » ? Pour faire de moi une pauvre petite chose dépendante ?

           - Tu souhaites me protéger, car tu crains de perdre, de voir succomber aux tentations du monde extérieur. Récita-t'elle d'une voix douce, presque peureuse.

           - Non. Dit il d'une voix froide. Tu as déjà cédé. Il est de mon devoir de te ramener dans la voix de Dieu, de chasser Satan qui déjà t'entraine dans les ténèbres pour m'atteindre.

Lanna se retint d'hausser les sourcils et de paraître agacée. Il n'y en avait toujours que pour lui. Aux dernières nouvelles c'était son corps et sa vie. Et si Satan, dans le cas où il existait, s'attaquait à quelqu'un c'était à elle. Il avait la très agaçante manie de tout ramener à lui... C'était soulant ! Elle dissimula son exaspération et utilisa son talent de comédienne pour avoir l'air effrayé.

            - Mais...mais... que, que puis-je faire ? murmura-t'elle d'une voix bégayante consciente d'apparaitre comme une véritable cruche. Elle cligna plusieurs fois des yeux pour faire sortir les larmes.

           - Tu dois étouffer ta fierté et te rappeler que tu es une femme, faible ! Cracha-t'il sèchement. Je t'ai vu changer, le monde extérieur t'a corrompu : le maquillage, les vêtements ! Tu t'es vue ? On dirait une prostituée alors que j'ai tout fait pour te préserver. Epargne moi tes fausses larmes, je vais te reprendre en main, je ne laisserai pas Satan utiliser deux fois la même faiblesse chez les femmes de cette famille !

Lanna pâlit brutalement, comme si elle venait de prendre une gifle. Pour qui se prenait il pour lui parler de cette manière ? Comme ça être une femme revenait à être faible ? Elle serra les poings alors qu'il continuait à cracher son venin sur elle. Elle n'était pas faible, loin de là même. Et pour qui se prenait il pour la juger. En quoi était il plus pur ? Plus noble ? Plus puissant ? Une puissante montée d'orgueil l'envahissait, un orgueil mêlé d'injustice et de colère. L'onde magique qu'elle avait éveillé quelques minutes plus tôt ne faisait que renforcer sa colère, son envie, son besoin de lui montrer qu'elle n'était pas ce qu'il disait. Elle était tout le contraire de ce qu'il disait, de ce qu'il voulait. Forte, puissante, belle, dangereuse. Mais elle tenait bon, le souvenir des pensées morbides qui l'avaient habitées l'empêchait encore de céder et commettre l'irréparable.

                - Tu n'es rien et tu ne seras jamais rien de plus !

Ce fut la goutte d'eau. Et toute sa volonté de se contenir, de retenir ce flot d'énergie qui bouillonnait en elle disparut. Alors quand elle ouvrit les yeux à cet instant, ils étaient verts, un puissant, violent vert citron qui pulsait vie, qui pulsait mort, qui pulsait sang, carnage et sauvagerie. Et elle hurla.


Ouh !!! Je suis revenue ! Pardon pour mon absence la semaine dernière mais c'était les vacances... :/

Dans tout les cas merci de continuer à me suivre, à être là mais surtout (comme d'habitude en somme) n'hésitez pas à voter et commenter ! (et vous abonner aussi... :P) !

Merci de me lire !

(et attention dans le prochain chapitre ça va être chaud !)

Nyx

DestinésOù les histoires vivent. Découvrez maintenant