59 - La mort dans l'âme

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Elle courait, le vent fouettait ses longs cheveux bruns chocolats les rabattant avec violence sur son visage brulé par le froid. Elle les écarta de devant ses yeux d'un rapide revers de main et continua sa course à travers la neige qui collait à son jean et à ses bottes. Un cri déchira la nuit derrière elle mais elle ne s'arrêta pas, elle ne pouvait pas, c'était trop dangereux... Elle atteint la route avec un léger soulagement mais ne ralentit pas le rythme et continua à courir à perdre haleine. Sa gorge la brulait, sa respiration sifflait mais elle ne pouvait pas s'arrêter maintenant. La douleur n'était rien, la fatigue n'était rien, la culpabilité n'était rien, elle méritait cette souffrance, elle méritait d'avoir peur, d'être seule... Ce qu'elle avait fait était monstrueux, inqualifiable. Elle était dangereuse, une menace pour tous ceux qui l'entourait. Elle obliqua vers le col de Vars, poussant encore plus son organisme à bout pour gravir la pente en lacet qui disparaissait dans la nuit. Seule la lueur de la lune qui luisait faiblement sur la neige éclairait sa fuite éperdue. Derrière elle le village de Saint-Paul-sur-Ubaye se faisait de plus en plus lointain à mesure qu'elle montait, elle avait dépassé les dernières maisons, des résidences secondaires ouvertes que l'été, qui s'égrainaient le long de la route du col. Personne ne l'avait vu fuir, personne n'avait entendu les cris quand elle avait quitté la maison. Lanna voulait partir, le plus loin possible, peut lui importait ce qu'elle laissait derrière, elle voulait juste sauver sa peau, s'éloigner de tout ceux qu'elle pourrait blesser, quitte à mourir de froid. Toute pensée rationnelle avait depuis longtemps déserté son esprit, et malgré la température glaciale elle voulait continuer à monter, fuir c'était la seule chose qui comptait, la seule chose qui lui restait. Au détour d'un virage elle s'effondra au sol, le visage ruisselant de larmes, toussant à s'en déchirer la gorge. Elle était frigorifiée, ses jambes la lançaient furieusement mais, elle releva la tête et braqua son visage inondé de larmes glacées vers le ciel étoilé, elle s'en fichait. La douleur n'était rien, rien par rapport à ce qu'elle avait fait ou faillit faire. La douleur n'était rien par rapport à la certitude d'être devenu un monstre. La douleur n'était rien, rien d'autre qu'une punition amplement méritée. La situation était tellement ironique... Lanna en aurait bien rit si la fatigue et le froid ne lui comprimait pas douloureusement la poitrine, elle, la toute-puissante Elémentaire, devenue plus sauvage et meurtrière que celle qu'elle s'était juré de combattre. Elle s'était toujours sentie supérieure à Naomi, maitrisant ses pouvoirs à la perfection et ce dès le départ, combien elle l'avait trouvée pathétique avec son misérable tentacule d'eau, combien de fois l'avait elle traité de folle, de psychopathe... Tout ça pour se rendre compte que finalement... Elle ne valait peut être pas mieux l'une que l'autre... Une violente quinte de toux lui déchira la poitrine la faisant cracher un mélange de salive et de larmes dans la neige. Elle passa une main distraite, bien que secouée par de vifs tremblements, dans ses longs cheveux brun chocolat raidit par le froid. Certes, les pouvoirs de Naomi l'avaient transformée en une sociopathe sadique et colérique mais les siens avaient libéré un péril tout aussi dangereux... Sous l'influence de ses pouvoirs... Elle... N'avait plus aucune empathie, seul comptait le sang, la mort et la souffrance... Lanna étouffa un sanglot désespéré, elle ne se sentait plus humaine... Elle se replia contre elle même, serrant ses bras contre sa poitrine tant pour se rassurer que pour se protéger du froid. Pourquoi ? Pourquoi fallait il que ça lui arrive à elle ? Pourquoi elle avait pas pris son mal en patience ? Pourquoi s'était elle sentie obligée de montrer à son père qu'elle était pas la misérable et pathétique poupée qu'il voulait qu'elle soit ? Pourquoi ne l'avait elle tout simplement pas fermé ? Elle serra les dents et leva son visage déformé par la souffrance, la culpabilité et une insidieuse haine d'elle même vers le ciel. Elle n'avait plus la force, plus l'envie de continuer, à quoi bon d'ailleurs... Elle enfonça ses doigts engourdis par le froid dans la doudoune qu'elle avait attrapé avant de sortir à s'en faire mal alors qu'elle sentait les larmes qui coulait toujours avec abondance sur son visage lui geler lentement la peau. Tout ce qu'elle avait toujours voulu, c'était réussir, qu'on l'applaudisse, qu'on l'admire, que pour une fois dans sa vie on ne voit qu'elle. Comment pourrait elle faire quoi que soit maintenant qu'elle savait... Maintenant qu'elle avait vu l'espèce de monstre qu'elle était au fond... Comment pourrait on l'admirer pour sa beauté ou son talent sans qu'elle craigne qu'un jour la bête ne surgisse de nouveau ? Toute sa vie, tous ses rêves tombaient en pièces, elle n'avait plus rien, plus d'avenir, plus de famille et dès que les autres sauraient plus d'Elémentaires... Un hurlement terrible et déchirant transperça la nuit, Lanna hurlait sa rage, sa peine, sa déception au monde entier qui jusque là l'avait ignoré avant de finalement lui refourguer une double personnalité de psychopathe assoiffée de sang et de massacre. Elle qui s'était toujours battue pour mieux, une vie meilleure, un respect, une reconnaissance n'avait plus envie, elle était fatiguée, fatiguée de se battre surtout pour voir tout tomber en pièces au final. Elle se recroquevilla contre le mur de neige qui bordait la route, enfouie sa tête dans ses mains avant de fermer les yeux.

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