Destinés

55 - Paterfamilias

  Le lendemain Lanna était sur le pied de guerre. 2 jours, elle avait 2 jours pour tout préparer : le lieu, le comité d'accueil, un discours, une attitude... Elle devait apparaitre forte, déterminée, redoutable. Ce rendez vous était une chance phénoménale qu'ils ne devaient pas gâcher. C'était le moment idéal, leur moment à Alex et à elle pour reprendre la main sur les Elémentaires et leur combat. Ils devaient passer à l'étape supérieure et pour cela Damien devait être écarté. Lanna se leva brusquement et bouscula le bureau sur lequel elle travaillait. Elle avait tout listé, tout préparé, il ne restait qu'a mettre en pratique la partie la plus délicate de son plan... Et pour cela elle devait affronter celui qu'elle craignait tout particulièrement : son père, le gourou de la famille et elle devait reconnaitre avoir peur. Elle avait reculé la date de la confrontation le plus tard possible, retournant tout les scénarios possibles dans sa tête pour lui expliquer de manière calme et posée qu'elle devait s'absenter toute la journée du lundi en pleine période sainte. Et au vu de comment il avait réagit la veille au soir au moment du repas c'était tout sauf gagné. Et même si il ne manquait que quelques détails à la mise en place Lanna savait que tout pouvait encore tomber à l'eau et que son père pouvait encore ravager ses plans.

Lanna s'étira, elle avait beau faire les cents pas dans sa chambre sa pensée ne s'éclaircissait pas plus et elle regrettait de ne pas avoir encore trouvé de solution miracle au problème que représentait son père. Un problème, assez... comment dire, récurant d'ailleurs. Il l'empêchait de manière quasi permanente de faire ce qu'elle voulait et pire encore d'être celle qu'elle voulait. A croire qu'il avait a sa naissance dressé un portrait de la jeune fille et femme parfaite qu'elle devait devenir. De son baptême à son mariage, qu'il ne voulait pas tardif, avec un fervent catholique auprès duquel elle resterait soumise et fonderait une famille parfaite reproduisant le modèle qu'ils incarnaient. Il l'avait modelé en servante, la fille pieuse et zélée dont on se fout du nom, pour faire d'elle l'épouse parfaite : enfermée dans sa cuisine, subissant les quatre volontés de son mari... En deux mots la copie conforme de sa mère qui n'avait d'ailleurs jamais élevé une seule fois la voix pour défendre ses filles. Léonie, Lou-Anne et Lanna avaient toutes été forgées sur le même modèle des enfants soumis, des filles pieuses, humbles, et insipides. Lanna était la deuxième a prendre le chemin de la rebellion, en effet quelques années plus tôt Lou-Anne, son ainée de deux ans, s'était, selon les mots de son père à l'époque, détournée du droit chemin (sous entendu celui de Dieu). Elle avait tout plaqué : le lycée, l'Eglise, le groupe de chant de la messe, puis sa famille. Elle avait adopté un look grunge : coupant ses longs cheveux brun retenu par un serre-tête, et troquant les longues jupes en laine pour des jeans déchirés agrémentés de chaines. Elle avait tenu un mois, en restant à la maison, exhortant ses soeurs à se rebeller elles aussi. Devant leurs refus, ou plutôt leurs incompréhension elle avait fini par partir, elle avait quitté la vallée pour échapper aux ragots mais surtout à l'emprise de leur père. Lou, comme elle se faisait appeler maintenant, habitait Lyon où elle s'était construite une toute nouvelle vie. Lanna ne savait rien de la vie de sa soeur, son nom était tabou à la maison, son père s'était assuré qu'elles ne gardent aucun contact avec « la mauvaise graine ». Il jugeait d'ailleurs d'autant plus sévèrement l'attitude de ses deux dernières filles et Lanna voulait bien être changée en citrouille si les fêtes qui s'annonçait ne se transformait pas en stage intensif de reprise de soi. Sauf que cette fois, Lanna était prête et il était hors de question de redevenir la pauvre fille qu'elle était. Ses capacités lui apportait bien des problèmes mais elles lui avait aussi apporté cela, une détermination sans borne, une soif intarissable de liberté, une force que nul ne soupçonnait dormait en elle et elle ne laisserait personne décider qui elle devait devenir. Néanmoins elle savait parfaitement que son père ne l'entendrait pas de cette oreille, et se battrait pour la « rétablir », c'était le mot qu'il avait employé la veille.

Lanna s'arrêta devant le miroir et s'assura de la discretion de son maquillage, elle allait se battre mais elle préférait ne pas tenter le diable ce soir, son maquillage était une rebellion mais cela devait être une rebellion discrète. Lanna devait étouffer sa fierté le temps d'un soir avant de leur montrer à tous. Un sourire machiavélique fit son apparition sur les lèvres de la jeune femme, bientôt elle aurait le pouvoir, bientôt elle leur montrerai à tous l'étendue de sa puissance, bientôt son père ne serait plus rien. Une douce vague d'énergie chaude et envoutante remonta le long de sa colonne vertébrale, la faisant frissonner de bonheur tandis qu'elle la laissait s'étendre dans son organisme. Cette énergie lui donnait la force, sa chaleur emplissait tout son corps apaisant ses muscles tendus par des semaines de contrariétés et une longue nuit sans sommeil. Avec elle venait le pouvoir et la soif, d'encore plus de pouvoir, de reconnaissance, d'amour, de destruction, de souffrance. Lanna était ivre, ivre de ce pouvoir qui se déversait dans ces veines et elle prêtait plus aucune attention aux pensées sordides qui envahissait son esprit, à ces demandes de sang, ces suppliques de carnage, de mort. Elle ne le voyait pas mais ses yeux avait pris une intense couleur vert émeraude assorti de reflets vert empire.

Un léger toc-toc sur la porte de mélaminé imitation bois la sortit assez brusquement de ses pensées morbides, si bien qu'elle du se raccrocher à l'échelle de la mezzanine pour ne pas s'effondrer au sol. Léonie, sa soeur ainée, apparu à l'embrasure de la porte l'air inquiet.

                  - Ca va, Lanna ? Tu n'as pas l'air dans ton assiette. T'inquiète pas, Papa n'est pas de trop mauvaise humeur ce soir, je suis sure que tout va bien se passer. Dit elle d'une voix douce.

Lanna se redressa douloureusement, elle se sentait soudain extrêmement moulue.

                 - Ne t'inquiète pas Léo, je suis juste un peu fatiguée je crois... Répondit Lanna d'une voix légèrement chevrotante.

Léonie lui sourit gentiment mais Lanna voyait dans ses yeux son inquiétude mais elle ne sut si sa soeur s'inquiétait pour elle ou pour les répercutions que son attitude pourrait avoir sur elle.

                  - Je suis venue te dire que c'est l'heure de manger. On t'attends pour la prière.

Lanna lui sourit à son tour, un sourire de facade. Elle ne savait pas ce qui venait de se passer mais cela avait détruit en quelques secondes le bouclier mental qu'elle avait dressé pour affronter ce repas. Lanna expira profondément et fit jouer les articulations de ses épaules comme un boxeur qui se prépare à rentrer sur le ring. Léopold n'était pas un homme tendre, ni même un homme doux elle ne devait pas s'attendre à ce qu'il lui face de cadeau. Un sourire diabolique apparu de manière fugace sur ses lèvres, alors qu'un éclat vert citron pulsa violemment dans ses iris, cela tombait bien elle ne comptait pas lui en faire non plus.