58 - Feliz Navidad

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Damien avançait à tâtons, il était dans le grenier de la vaste maison de village qu'il habitaient avec son père et sa soeur. Une immense maison de trois étages où chacun avaient plus que trois fois plus de place que nécessaire soit dit en passant... Un gigantesque salon ainsi qu'une cuisine d'une taille équivalente occupaient la majeure partie du rez-de-chaussée tandis que le premier comprenait sa chambre ainsi que celle de sa soeur et bien sur l'impressionnante suite parentale qu'avaient occupés ses parents autrefois. Damien n'y était rentré que deux fois dans sa vie, une seule depuis le décès de sa mère et il n'avait jamais oublié le décor précieux et romantique de la pièce. Il pouvait d'ailleurs affirmer avec quasi-certitude que son père n'avait absolument rien changé de la décoration imprégnée de la présence de Romane, sa femme. Le petit couloir qui y menait en était devenu sinistre, comme l'antichambre d'un temple, d'un sanctuaire. Son père lui avait interdit l'accès le jour où il l'avait surpris devant l'autel soigneusement entretenu dressé sur la coiffeuse en bois poli que sa mère aimait tant. Damien jura quand sa tête heurta le plafond qui l'obligeait à se plier en deux pour atteindre son objectif, un carton rangé au fin-fond du grenier, à l'endroit le plus difficile d'accès, au fond d'un minuscule réduit bas de plafond encombré de poussière et de cadavres de souris à moitié décomposé. Comment son père avait il pu amener ce carton là ? Damien n'en avait aucune idée... Mais, bordel, il s'était donné du mal ! Cela faisait cinq ans que sa mère était décédée, cinq ans que son père ne les voyaient plus que comme les vestiges de leurs vie passée, cinq ans qu'ils s'étaient tous arrêtés de vivre, cinq ans que sa soeur ne souriait plus, cinq ans qu'ils ne fêtaient plus Noël... Mais cette année serait différente, leurs vies allaient reprendre, il allait rendre le sourire à sa soeur, cette année ils allaient fêter Noël. C'était important, autant pour sa soeur que pour lui, il en avait besoin, ils en avaient tous besoin. Damien attrapa le carton et entrepris de le trainer jusque la sortie du réduit avant de le porter dans la cuisine. Il déposa le carton sur la table avec un soupir de soulagement, le carton était lourd et encombrant mais Damien le savait, mieux il en était certain, cela valait la peine, largement. Tout en retenant un sourire ravi il s'exclama :

                - Lucile ! Tu veux bien descendre s'il te plait ?

Un grognement lui répondit avant qu'il n'entende un bruit de pas saccadé dans les escaliers. Il se précipita dans l'entrée où donnait le gigantesque escalier en mélèze qui desservait les étages. Dans le creux entre le hall d'entrée et le début du palier du premier étage une maigre silhouette se découpait. De long cheveux brun miel, un teint terne, un adorable visage rond assombri par des yeux ambrés aussi triste que la pluie, sa soeur se tenait dans l'ombre du recoin de l'escalier.

              - Qu'est-ce qu'il y a ? Demanda-t'elle d'une toute petite voix où transparaissait toute sa lassitude.

               - Descend Luciole, je t'ai préparé une surprise ! Dit Damien d'un ton cajoleur en employant son surnom comme s'il voulait appâter un animal farouche.

La jeune fille se pencha dans sa direction, affichant une mine sombre dont les cernes et les traits tirés étaient à peine dissimulé par une légère couche de fond-de-teint. Damien se retint de soupirer, cela lui faisait mal de la voir ainsi, Lucile avait toujours été une fillette pleine de vie, qui adorait jouer avec le maquillage de sa mère, d'ailleurs elle savait très bien l'utiliser, pour cacher sa tristesse, son mal-être pour qu'elle apparaisse ainsi il n'y avait qu'une seule explication : elle ne voulait pas faire semblant. Faire croire qu'elle allait bien, qu'a travers la danse, l'équitation, le théâtre, le ski de fond, et la guitare son père n'essayait pas de l'éloigner, de l'occuper, de l'empêcher de penser... Si leur père, Jules s'était enfermé dans la colère après le suicide de sa femme, Lucile s'était elle auto-détruite, la culpabilité qui n'avait même pas effleuré son père l'avait envahie, bouffée, détruite, tentative de suicide après tentative de suicide.

              - Pas tout de suite, grand frère... Je suis fatiguée... J'ai pas envie, souffla-t'elle.

Damien avait mal, mais il ne pouvait pas l'abandonner, jamais il ne le pourrait... Tout le monde pouvait être sauvé, Naomi le lui avait prouvé... Ses plans au lycée se passait pour le mieux, il avait pu changer la donne, il pouvait aussi changer la donne chez lui... Donner à sa soeur la force de se battre, la force de vivre...

            - S'il te plait... Viens, dit-il d'une voix douce en tendant la main en direction de l'escalier.

Il vit Lucile pousser un profond soupir avant de descendre lentement les quelques marches qui la séparait de son frère et de lui prendre la main. Damien l'attira dans la cuisine et lui montra le carton qui encombrait la table.

           - Qu'est-ce que c'est ? Demanda-t'elle en penchant la tête vers lui comme une petite fille curieuse. C'est le carton de Noël ? Pourquoi tu l'as descendu, tu sais que Papa veut pas qu'on décore la maison.

Damien la gratifia d'un sourire complice et lui frotta la tête en la serrant contre lui comme quand elle était encore petite.

              - On a besoin de fêter Noël toi et moi, il est quasiment jamais à la maison alors on va se passer de sa permission. Et puis... On faisait souvent des bêtises ensemble quand on était gamins... On a encore l'age dans faire quelques unes... Dit-il avec un sourire moqueur qui fit s'illuminer de joie les yeux de Lucile.

Elle se tourna vers lui les yeux brillants.

                 - Alors, tu l'ouvres ce carton ? Renchérit Damien, en se retenant d'afficher un grand sourire. Ils avaient besoin de ça, tout les deux, de ce bonheur, de ces futurs souvenirs, il ne voulait pas se rappeler de sa jeunesse comme des années marquées par l'enfermement, la tristesse et la mort. Il voulait se souvenir de la vie, de la chaleur, des sourires et des yeux brillants de Lucile, il voulait que Lucile se souvienne, qu'elle se souvienne de ces instants de bonheur, et qu'elle finisse par oublier la souffrance et la culpabilité. Et comme pour répondre à ses brulants espoirs le feu flamboyait joyeusement dans la cheminée, tel un phare pointant vers un avenir un peu plus radieux.



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