Le 9 Octobre, 23h49
Maxine,
Ton prénom résonne dans mon cœur comme la raison de mes joies et de mes peines. J'ai fait un effort aujourd'hui, je ne suis pas partie à ta recherche. J'ai passé la journée au lit, enroulée dans la couette moelleuse à la house rose que tu aimes tant.
Je te revois te balader dans la maison avec l'édredon serré contre ton corps, seuls ton visage et ta main portant une tasse de thé fumant dépassaient. Je me revois te rejoindre sur la terrasse, blottie dans mon poncho, afin de contempler avec toi le lever de l'astre éclatant sur les pics blancs au loin. Nous nous demandions s'il les ferait un jour fondre, si sa puissance finirait par réduire les majestueuses montagnes en fades flaques. Le soleil teintait l'horizon d'une palette fantasmagorique dont deux paires d'yeux emplis d'éclats se délectaient. Alors, j'abaissais le capuchon formé par la couette et découvrais ta fougueuse chevelure, qui nimbait d'ébène la grâce sombre de ton visage. Tu te tournais vers moi et le sourire que tu me lançais me liquéfiait de par la beauté que je pouvais y lire. Je tentais de retrouver ma respiration pendant plusieurs secondes, puis une force incontrôlable me poussait à y poser doucement les lèvres. Lorsque je reculais, le sourire s'était transféré de ta bouche à la mienne. Et nous passions toutes deux la porte de notre demeure pour entrer dans notre journée, la commencer.
Je ne suis désormais plus qu'une épave. Un cachalot sur la plage échoué, un avion dont les réacteurs ont lâché, un chevalier privé de son épée.
Ma mère est passée ce midi pour m'aider à me changer les idées.
Ça n'a pas marché. Ça ne marche jamais.
« Lou, tu manques à ton père, tu sais qu'il ne peut plus se déplacer. Et si nous allions lui rendre visite ?
- Lou, j'ai découvert une nouvelle librairie en ville, tu vas l'adorer ! Ses étagères sont pleines de vieux livres rares et méconnus.
- Lou, je t'ai préparé ton plat favori : des lasagnes aux épinards. Ton père en a piqué un peu, c'est pour ça qu'il en manque dans le coin, juste là. »
« Lou n'est plus capable d'apprécier la vie, maman », j'aimerais lui répondre. « Elle souhaiterait y arriver, mais c'est impossible. Lou ne sent plus le goût de tes lasagnes aux épinards. »
J'ai accepté de l'accompagner en ville demain après-midi. J'achèterai de nouveau rideaux pour remplacer ceux du bureau qu'Asmodée a entrepris de déchiqueter à l'aide de ses griffes. Il va bien, au fait. Il ressent mon chagrin et ton absence. Il vient de terminer son bol de croquettes et se trouve maintenant à mes côtés, endormi, sa petite tête posée sur ses pattes avant et la queue reposant le long de son corps.
Shannon est passé me voir, lui aussi. Mercredi, en rentrant du commissariat. On lui refuse toujours de travailler sur l'enquête. Trop proche de nous, qu'ils lui disent. Mais il a parlé à ses collègues. Ils sont actifs, ils te recherchent jour et nuit. Ils lui conseillent de ne pas se faire de faux espoirs, ils ont déjà fouillé les alentours de fond en comble, dans un périmètre de plus en plus large. Aucun appel de témoin t'ayant aperçu, aucun cadavre retrouvé. Le chef leur a annoncé que si les recherches n'aboutissaient pas sous deux semaines, ils seraient contraints d'abandonner.
Ils vont t'abandonner ! Tu te rends compte ? Shannon me dit que je dois cesser de te chercher, mais si la police laisse tomber je vais bien devoir m'y remettre, faire le travail à leur place ! S'ils pensent que moi, je vais t'abandonner aussi facilement, ils se fourrent le doigt dans l'œil. Ils n'ont certainement jamais connu l'amour. Jamais connu les levers de soleil hors du monde et hors du temps. Et ils ne t'ont jamais connue, toi.
J'ai terminé la boîte de thé au jasmin offerte par mon frère, ton préféré. Il s'est proposé, au téléphone, d'aller m'en chercher une autre. J'ai refusé ; il me reste encore du rooibos et du thé vert à la fraise que je ne bois presque pas ces temps-ci.
En cette nuit d'automne, le vent souffle fort dans la cime des arbres. Il essaie de briser leurs branches, il abat sa colère sur le monde naturel. Tu aurais adoré le craquement des feuilles cuivrées sous tes talons.
Je vais poser ma plume, Morphée m'appelle – me plongera-t-il cette fois encore dans un demi-sommeil cauchemardesque ?
Reviens-moi vite.
Lou
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General FictionMaxine a disparu. Lou, désespérée, lui écrit des lettres. [1ère tentative épistolaire. N'hésitez pas à commenter pour me dire ce que vous en pensez]