1. Antiope - 30 mars, Port Royal

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30 mars 1683, Port Royal, Jamaïque

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30 mars 1683, Port Royal, Jamaïque.

 Sur la côte sud de la Jamaïque, une large baie aux eaux peu profondes forme un havre naturel pour les navires en quête de mouillage. Une étroite bande de terre, longue d'environ quatre lieues, en protège l'entrée contre les rouleaux marins, tel un bras de géant enlaçant un miroir turquoise. En retrait sur le rivage, les maisons et plantations des colons anglais prospèrent, à l'abri des éléments naturels et des menaces ennemies. À l'extrémité de la péninsule, la petite ville de Port Royal s'est développée autour du fort qui en défend l'accès. Un enchevêtrement de bois et de pierre, une excroissance boutonneuse grouillante d'une vie fébrile.

La nuit tombe sur ce repaire de forbans de tout poil. En plongeant sous l'horizon, le soleil emporte la moiteur de la journée sous la caresse d'une brise nocturne. À l'abri dans la rade, une guirlande de navires flotte au mouillage. Quatre frégates bardées de canons surveillent l'entrée du port, à l'aplomb du fort James. Des flûtes à la coque arrondie attendent leur cargaison de bois, de cuirs ou de sucre. Des brigantins plus élancés ont ferlé leurs voiles pour la nuit. Au bord des docks, des sloops, cotres et autres chaloupes dansent sous le clapot.

Dans les rues de terre battue, une population de marins, pêcheurs, boucaniers et flibustiers en tout genre se bouscule à l'entrée des tavernes ou des lupanars. Les odeurs de poissons, de sel et d'iode peinent à couvrir les relents d'alcool, de stupre et de sueur véhiculés par la débauche ambiante. Les lanternes aux fenêtres lèchent des visages couturés et des grimaces revêches, les flammes avivent l'éclat d'un sabre ou d'un coutelas sous un pan de veste. Des grognements courroucés ponctuent les algarades. Les rabatteurs rivalisent de vociférations pour attirer le chaland. Les corps se frôlent, se testent, se heurtent dans une touffeur enfiévrée qui colle à la peau.

Dans un établissement plus respectable que les bouges du bord de mer, en retrait de l'agitation, des officiers de marine et des marchands profitent d'un verre de vin, de guildive ou d'un repas chaud. Sous les poutres noircies, ce havre discret offre aux habitués une détente appréciable. Le tenancier jongle entre tonneaux et cruchons derrière son comptoir, tout en surveillant la clientèle d'un œil attentif. Personne ne joue aux dés. Les rares bagarres se soldent par une expulsion rapide et définitive. Pour l'heure, le murmure des conversations n'agresse pas les oreilles et permet de s'entretenir sans s'époumoner. La soirée ne fait que commencer ; les esprits ne sont pas encore échauffés par l'alcool.

Attablée au fond, Antiope a investi le recoin discret qu'elle affectionne. Juste derrière, l'escalier mène aux quelques chambres que loue l'établissement. Rien de tel qu'un cruchon de guildive à portée de main pour savourer la quiétude d'une première soirée au port ! La capitaine de L'Espérance se renverse sur sa chaise, cale ses bottes encroûtées de sel sur la table et rabat le bord de son chapeau sur son nez mince.

Juste à côté, Grand-Jean pousse un soupir d'aise. Avec ses bras épais et son torse musclé sous sa veste ouverte, le bosco fait figure de colosse. Il empoigne son gobelet de terre cuite, le vide d'un trait, le repose dans un claquement de langue. Le ton torréfié de sa peau attire quelques regards méprisants, mais les deux flibustiers arborent sabre, machette et coutelas. Personne ne se risque à leur chercher querelle.

[Sous contrat] L'œil du dieu serpentOù les histoires vivent. Découvrez maintenant