2.1. Antiope - 30 mars, L'Espérance

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30 mars 1683, Cotre L'Espérance, Jamaïque.

Le timonier fait rouler les muscles de ses bras sous son gilet de cuir et lui renvoie un sourire désinvolte.

— Tout de suite, capitaine !

— Tranchez les amarres, pas de temps à perdre ! Bosco, hissez la grand-voile, le foc et la trinquette. Tenez-vous prêts pour le hunier dès que j'en donne l'ordre.

Grand-Jean ébauche un mouvement surpris. Sortir trop de toile dans le port est risqué, mais la rapidité prime sur la prudence. Antiope fixe les frégates ancrées à l'entrée de la rade. Pourvu que les Anglais ne se mettent pas en tête de les canonner ! L'avantage de L'Espérance réside dans sa finesse, sa vitesse, sa maniabilité. Le navire n'est pas bâti pour supporter un feu nourri.

Les marins s'affairent sous les ordres. La vergue de la grand-voile s'élève le long du mât, déployant le rectangle fringant. Les gabiers s'élancent dans les haubans pour déferler le hunier.

Le lieutenant anglais s'affole :

— Qu'allez-vous faire de moi ? Votre affront ne restera pas impuni ! Sachez que...

— Dis-moi où sont mes hommes ! coupe Antiope sans même un regard, et je te laisse partir.

Elle serait en droit de réclamer sa vie en échange de celle de La Buse, mais les Anglais mettraient sa tête à prix. Inutile de leur fournir une bonne raison de la pourchasser sur les mers. Pas d'otage non plus. Avec l'équipage réduit, le bénéfice qu'elle pourrait en retirer ne vaut pas les complications engendrées. Les Anglais ne négocieront pas la libération de sept forbans contre un simple lieutenant. De toute façon, pas de prisonnier à bord ! C'est la règle, les hommes le savent.

La grand-voile se gonfle en douceur sous le vent du large. Penchée sur le bastingage, Antiope surveille que la poupe n'accroche pas le quai. Le navire répond parfaitement à la barre.

L'officier panique.

— Ils ont été emmenés au fort James sous bonne garde. Je n'en sais pas plus, je le jure !

Elle serre les lèvres sur une moue contrariée. Si le soldat dit vrai, la mission de libération risque de se révéler plus délicate que prévu. Elle s'éponge une nouvelle fois le front d'un revers de manche. Les élancements de son bras résonnent jusque dans ses tempes. Impossible de tenter quoi que ce soit cette nuit !

Elle se retourne vers le Taïno qui maintient toujours son arme sous la gorge du prisonnier.

— Rejette ce merlu faisandé à la mer, Har. Il empuantit mon navire.

Le pilote acquiesce de la tête. Il tranche les lacets du plastron et conduit le lieutenant à la pointe du coutelas jusqu'au bastingage.

— Saute, ordonne-t-il, laconique.

— Vous n'avez pas le droit ! Le gouverneur...

Harhiwanli enfonce la lame dans le drap de l'uniforme.

— Saute !

Avec un cri de douleur, l'officier enjambe le plat-bord et se laisse tomber dans la mer. L'Espérance file sur sa lancée. La tête du lieutenant disparaît de la vue. Pas d'inquiétude, il regagnera l'un des navires au mouillage. Et quand bien même il se noierait, ce n'est pas elle qui pleurera sa perte.

Avec la voile sortie, le cotre prend de la vitesse, se glisse à vive allure entre les bâtiments à l'ancre dans la rade. La main de Brindamour repose fermement sur la barre. Antiope retient son souffle, mais L'Espérance se dégage de l'écheveau avec grâce.

[Sous contrat] L'œil du dieu serpentOù les histoires vivent. Découvrez maintenant