30 mars 1683, Port Royal, Jamaïque.
Un mince croissant de lune éclabousse les eaux du port. Des chants avinés s'élèvent des tavernes environnantes. Les vagues lèchent les poteaux des quais avec un léger clapotis. Les poursuites ont cessé. Dans l'ombre d'une courette, Antiope et Grand-Jean surveillent la silhouette élancée du cotre amarré un peu plus loin.
Par-dessus la morsure de son épaule, elle inspire une bouffée de fierté. Les dix toises de la coque élégante de L'Espérance épousent le ponton. L'unique mât central grimpe à l'assaut des étoiles, tandis qu'à la proue, une figure féminine brandit le long bout-dehors. Le voilier, rapide, maniable, taillé pour la course, représente bien plus qu'un simple moyen de transport : il offre à l'équipage un toit et un mode de vie libre, sans attache. Hors de question de laisser la prunelle de ses yeux aux mains de ces putois véreux !
Sur le pont d'un seul tenant, des soldats anglais montent la garde. Leurs ombres se devinent dans la nuit.
— Ils sont quatre ou cinq, je crois, chuchote la voix grave de Grand-Jean.
— Nos hommes ont sûrement été arrêtés. Il faut récupérer le navire, se replier et réfléchir au moyen de les tirer de ce guêpier.
Elle repousse derrière son oreille une boucle échappée de sa queue-de-cheval. Sa blessure la lance, mais elle a connu pire. Ce n'est pas elle qui léchera ses plaies en gémissant dans un coin. Elle a une réputation à tenir !
— À deux ? Plus facile à dire qu'à faire, grommelle le bosco.
Le clapotis de l'eau se fait de nouveau entendre. Une forme ruisselante, plus sombre que la nuit, se hisse sur les planches de bois. Un crédule pourrait la confondre avec un démon des fonds marins hantant les docks à la recherche d'une proie facile. La créature s'approche. Un pâle rayon argenté révèle un homme de petite taille, pieds nus, vêtu en tout et pour tout d'un pagne de toile grossière.
— Parle plus bas, Grand-Jean, sermonne l'arrivant avec un fort accent claquant. Ta grosse voix porte loin sur la mer.
— Harhiwanli !
Antiope relâche un souffle soulagé. Première bonne nouvelle de la soirée.
— Har-le-Rouge ! renchérit Grand-Jean. Content de te voir, vieille branche !
Le Taïno s'accroupit près de ses compagnons, genoux écartés, en équilibre parfait sur ses orteils. Ses cheveux noirs luisent sous un reflet de lune. Il joue avec un coutelas affûté.
— Six hommes à bord, armés : épées, fusils. Peu attentifs. Trop sûrs d'eux.
— L'équipage ? interroge-t-elle, un nœud au ventre.
— La Buse est mort. Il était à la coupée lors de l'attaque.
Elle serre le poing dans un sursaut de rage. Lynch paiera pour cette vie volée !
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[Sous contrat] L'œil du dieu serpent
FantasyLes Caraïbes, 1683. Tandis que la France et l'Espagne s'affrontent pour les richesses des îles, les anciens dieux mayas somnolent sous les pierres d'une civilisation déchue, oubliés de tous, ou presque. Pourtant, l'un d'eux rumine encore sa colère d...