Chapitre 3

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3.

« Il est prudent de parler peu : ce que l'on a une fois dit n'est plus en notre pouvoir, tandis que ce que l'on a à dire, peut rester secret tant qu'on voudra. »

Pierre-Jules Stahl ; Les pensées et réflexions diverses (1841)

NOLA

Mercredi 25 octobre 2017

Il est précisément dix-sept heures lorsque j'arrive dans la salle d'attente du Docteur Heston. La secrétaire me jette un sourire discret avec un hochement de tête.

— Le Docteur vous attend. Je vais le prévenir de votre arrivée.

Déjà prête à se lever, la femme se rassoit lourdement quand je passe devant elle d'un pas assuré, les mains dans les poches, avec ma nonchalance habituelle. Sans même frapper, j'ouvre la porte du cabinet. Le psychologue sursaute en me voyant faire irruption sans préambule. Il cache quelque chose derrière son dos en vitesse, comme un adolescent pris la main dans le sac. Je hausse un sourcil.

Il me sourit, gêné.

— Ah, c'est toi, Nola. Je suis navré, je n'avais pas vu l'heure.

Je lui lance mon petit regard qui signifie : « Arrête de me prendre pour une idiote. » Puis, après avoir refermé doucement la porte derrière moi, je vais m'installer sur le canapé, les jambes et les bras croisés, le dos bien calé contre le coussin. Je sais d'ores et déjà que je ne vais pas parler de la séance. Cependant, je suis quand même curieuse de voir ce que Jeremy va bien pouvoir tirer comme conclusion hâtive, aujourd'hui.

Jeremy... bien sûr, je dis cela, mais je sais très bien qu'il ne s'appelle pas Jeremy. Seulement, pour le moment, je ne connais pas son véritable nom.

L'homme a l'air plutôt embarrassé. Visiblement, il ne sait pas comment se comporter devant moi. Plus le temps passe, plus je le soupçonne de ne pas vraiment être psychologue.

— J'aimerais te demander : pourquoi ne parles-tu plus ?

Je ne bronche pas. Il m'a déjà posé la question lundi. Je n'ai pas plus répondu ce jour-là qu'à présent. Et je n'y répondrai probablement jamais. Et cela pour une raison très simple : cette question ne me fait éprouver aucun intérêt.

Jeremy penche sa tête de côté, comme je le fais lorsque quelque chose me rend curieuse. Machinalement, je penche ma tête sur l'épaule, moi aussi, rendue perplexe par sa mimique. Il sourit. Je rougis. Je viens de me faire avoir ; il a trouvé l'un de mes tics. C'est la deuxième séance que j'ai avec lui et il a déjà deviné deux choses sur moi avant que je ne les lui dise. C'est agaçant.

— Tu ne parles absolument jamais, pourtant, tu communiques énormément. Avec des mouvements de tête et des regards, juge-t-il en s'avançant sur son siège. Tu fais passer beaucoup d'émotions au travers de tes yeux. Dis-moi, que vois-tu en moi lorsque tu m'observes comme tu le fais en ce moment ?

Un petit sourire fend ma bouche. Jeremy s'attarde sur mes lèvres un moment.

— La vérité ?

Je me glace. C'est exactement ce à quoi je pensais. La vérité...

Comment a-t-il fait ?

Mon visage doit marquer la surprise car l'homme me répond aussitôt :

— Tes yeux sont extrêmement expressifs. Les as-tu déjà regardés dans un miroir ? Ta voix est muette, mais tes prunelles parlent ; elles disent des choses que tu veux cacher. Des choses dont tu n'as certainement pas conscience.

Le Manoir d'EmeraudeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant