Chapitre 15

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15.

« Nous passons notre temps à masquer ce qui nous cache. »

Robert Sabatier ; Le livre de la déraison souriante (1991)

NOLA

Samedi 18 novembre 2017

La pression qui m'a assaillie à mon arrivée au Manoir d'Emeraude ne cesse de m'oppresser la poitrine. Cependant, plus les heures passent, plus il me semble qu'elle s'allège. Les deux forces contraires tirent moins fort ; l'une d'entre elles se fatigue.

Je tousse et une poignée de petites poussière se soulève. Elles sont déjà moins nombreuses que la vieille. La bâtisse sent moins le renfermé ; les vitres ne sont plus aveugles ; les cheminées semblent avoir été allumées dernièrement. Au détour d'un couloir, j'ai même entendu crépiter le feu dans l'âtre. Mais, à mon arrivée dans la pièce, il ne restait plus que des braises.

Quelque chose d'étrange se passe ici. J'en viens même à me demander si la maison n'est pas hantée. J'ai l'impression qu'il ne reste pas ici que des souvenirs.

Le manuscrit du Manoir d'Emeraude sous le bras, j'entre dans une grande chambre. Toutes les fenêtres sont fermées, pourtant, une odeur de fraîcheur y flotte, comme si la pièce venait d'être aérée. La literie est propre, bien que le blanc soit quelque peu délavé. Des bougies presque entièrement fondues maculent les bougeoirs disposés un peu partout. Et il n'y a aucune trace d'électricité, ni même d'eau courante. Le doute n'est plus permis : je me trouve dans une bâtisse vieille de plus de deux cents ans ; soit l'époque à laquelle vivait Jasper Jackson, l'écrivain du Manoir d'Emeraude.

Si j'en crois l'apparition fantomatique de hier soir, Jasper est Lionel. Jasper aurait donc écrit sa biographie, en changeant les noms.

Je retourne dans le couloir en prenant soin de bien refermer la porte derrière moi. Contre les murs, plusieurs tableaux sont accrochés. Certains sont encore couverts de poussière, quand d'autres brillent comme s'ils venaient d'être astiqués. Je m'approche d'un en particulier : c'est une peinture en couleur terne du Manoir d'Emeraude. Le peintre a signé avec ses initiales en bas de la toile, mais je ne suis pas capable de le reconnaître. Tout ce que je comprends, c'est que ce manoir porte bien le nom d'Emeraude.

Un peu plus loin dans le couloir, je déniche un portrait de belle femme blonde. Son visage est légèrement carré, ses yeux, clairs, son nez droit. Sa chevelure couleur du blé tient en un joli chignon sage. La jeune femme doit avoir une vingtaine d'année. Le tableau est signé de février mille huit cent dix-sept. Il y a même un nom, juste en dessus de la date et de la signature.

Lydie Jackson

Février 1817

Jackson est le nom de Jasper. Lydie ressemble beaucoup à la description qu'il fait de Léocadie, dans le roman. J'en déduis donc que Lydie est le vrai nom de Léocadie.

Plus le temps passe, plus je suis convaincue que le roman est tiré de faits réels. Le sept février mille huit cent dix-sept, Léocadie a fêté son vingt-troisième anniversaire. Ce portrait a sûrement été peint pour l'occasion.

En revanche, je ne comprends toujours pas d'où vient cette atmosphère pesante. Ni pourquoi les objets et les meubles semblent se dépoussiérer tout seul.

Le Manoir revit...

Je scrute les ombres tenaces de la demeure. Parmi la pénombre, des créatures silencieuses m'observent. Ces mêmes créatures que j'ai déjà aperçues en bas du mur, hier soir, juste avant l'apparition de Clément.

Le Manoir d'EmeraudeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant