Chapitre 12

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12.

« Enfant unique, enfant de deuil. »

Proverbe danois ; Le dictionnaire des proverbes danois (1757)

JASPER

Vendredi 7 février 1817

La nouvelle année avait commencé depuis plus d'un mois, à présent, et pourtant, rien n'avait changé. Le même vent douloureux soufflait sur le cœur de Lionel tandis qu'il attendait patiemment que le sommeil daignât enfin vouloir de lui. Toutes les bonnes résolutions qu'il avait prises n'avaient pas tenu le coup de la fin janvier. Et après le premier tournant, tous les espoirs s'étaient envolés, à leur tour.

Lionel ouvrit les yeux, sans vraiment s'attendre à quoi que ce soit. Et pourtant, il fut quand même déçu. Déçu de la monotonie des jours. Déçu de son existence... si cela pu être nommé existence, évidemment.

Son lit lui sembla plus froid encore qu'à l'ordinaire. Le givre de février gagnait ses os et le couvrait d'un manteau d'hiver. Paralysé par ce froid, Lionel se recroquevilla sous sa couverture, tel un enfant effrayé par les montres tapis sous son lit.

Dehors, le vent de la nuit avait cessé, laissant place à une douceur anglaise habituelle. Mais depuis son cagibi, Lionel ne pouvait qu'imaginer les étoiles dans le ciel nocturne. Il songeait aux nuages vaporeux qui coulaient le long de la voûte céleste, masquant parfois la lune en croissant.

Doucement, alors qu'il avait déjà refermé les yeux, il chantonna une bribe de berceuse. Cette même berceuse que lui chantait Hortense dans son enfance ; cette berceuse qu'elle lui chantait encore, le soir, lorsque trop de tourments l'empêchaient de respirer correctement.

Lionel n'était pas malade. Du moins, si la condition infernale de son existence n'était pas une maladie, il n'était pas malade.

Le jeune homme finit soudain par s'endormir, s'arrachant pour quelques heures à la triste vie qui lui était imposée.

Lorsqu'il se réveilla, le Manoir était déjà éveillé depuis longtemps. L'aube ne colorait déjà plus le monde sous son feu orange et rouge. Il le savait car les domestiques passaient en courant dans le couloir sombre, sur sa gauche, tandis que la paroi en bois en gros grillage – bien qu'à peine percée – disséminait une fine lumière dorée sur le plancher de sa chambre depuis sa droite.

Il se redressa sur son lit, persuadé qu'un jour de plus dans la monotonie maussade de la vie au Manoir ne changerait rien à son existence. Lionel regarda alors la pendule sur son bureau, puis le calendrier. Aujourd'hui, sa demi-sœur fêtait son vingt-troisième anniversaire. Pour l'occasion, toute la maison était en effervescence. Il y aurait un bal, ce soir, dans la grande salle juste en-dessous, à droite, de sa chambre. La musique s'élèverait un bonne partie de la nuit, accompagnée des rires et des tintements des verres en cristal. Lui, Lionel, n'y serait pas admis. Seuls les amis et la famille pourraient aller s'amuser. Il ne faisait pas partie de la famille. Sa belle-mère le lui avait suffisamment répété pour qu'il n'espère plus un jour avoir le droit de porter son nom. Ainsi, lorsque l'on s'adressait à lui, ce n'était jamais en tant que Monsieur Lionel Emeraude, mais toujours en tant que Lionel, simplement. Ni titre, ni nom. Juste un prénom, tout simple. Et cela ne le dérangeait qu'un peu. Juste assez pour que la plaie ouverte ne se referme pas avec le temps. Juste assez pour qu'il ait mal et se sente seul.

— Encore au lit, Lionel ? Eh bien, vous êtes bien paresseux, ce matin. Allons, debout. Il est temps que vous vous prépariez, salua la gouvernante en entrant dans la chambre après avoir frappé à la porte. Qu'il fait sombre ici ! Je vais vous ouvrir les rideaux et ces volets. Toujours couché ? Allons, allons, on se lève, mon garçon !

Le Manoir d'EmeraudeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant