Deuxième partie : Chapitre 11

5 1 0
                                    

DEUXIÈME PARTIE

« Illusion, fais fleurir tes roses que je voie tes vérités. »



11.

« Quand tu es loin ton absence danse avec mon espérance, et je câline l'ardeur de mon attente aux rires des souvenances. »

Jacques Salomé ; Bonjour tendresse (1992)

NOLA

Jeudi 16 novembre 2017

L'immense portail en fer étincelant impose sa grandeur, bien que le lierre le noie sous ses tiges épineuses et possessives. Quelques branches nues ferment encore la longue allée droite en terre battue, mélangée de sable et de gravier, me semble-t-il. Des haies et des arbres donnent l'impression de faire tout le tour d'un jardin vaste et majestueux ; cependant, tout est laissé à l'abandon ; en témoignent les ronces sauvages, les fleurs grimpantes et les hautes herbes qui plient sous la brise. En cette fin de matinée, l'Angleterre revient des siècles en arrière, plongeant violemment un endroit centenaire dans les ruines du temps.

J'avance et passe le portail. Mes bottes soulèvent plusieurs vagues de fumée épaisse. J'ai mal partout à cause de mon voyage jusqu'ici, mais, le souffle court, j'en oublie ma peine pour écarquiller les yeux devant ce spectacle sorti d'un autre temps.

Entre les allées serpentines, des rosiers sauvages poussent parmi les arbres anciens et les plants délaissés. La nature dort déjà, préparée au froid de l'hiver qui approche à grands pas. Des sculptures en pierre grisâtre – qui ont dû être blanches, autrefois – parsèment le paysage, imitant diverses formes : femmes, bustes, elfes, ou simples fontaines éteintes. De vieux bancs siègent, couverts de lierre, tachés par la pluie.

Le soleil traverse le fin feuillage brun d'un haut arbre, jouant entre les branches presque nues.

Étrange, avant que je ne passe le portail, le ciel était couvert...

Le silence qui règne en ce lieu est si épais qu'il me semble que rien ne pourra jamais le troubler : il est divin.

La chaleur rallume mon corps endormi en me touchant de ses caresses ardentes. Je suis à deux doigts de fermer les yeux pour m'allonger dans l'herbe fraîche et dormir sous le baiser du printemps.

Mais non. Je marche, comme hypnotisée. Face à moi, la silhouette lumineuse de tout à l'heure m'obsède. Plus j'avance, plus elle devient nette et imposante. C'est un manoir construit avec une pierre rouge, dont les fenêtres sont cintrées d'une roche autrefois opaline. Les vitres poussiéreuses me masquent l'intérieur des pièces, donnant la sensation que la bâtisse est aveugle. Vieille et silencieuse, la grande demeure trône au centre du jardin. Devant son perron, l'allée se sépare en deux, s'ouvrant sur une fontaine sculptée magnifique, mais dont les jets sont éteints. Dans le fond du bassin, quelques feuilles mortes se disputent les grains de terre. Des fissures marbrent la pierre de rides harmonieuses.

Sur le toit du manoir, des cheminées me toisent, accrochées aux tuiles couleur de l'ardoise. Une ombre immense s'étend sur le lieu, veillant à la quiétude.

J'ignorais que l'Angleterre comptait un endroit aussi beau...

Déchirant le voile du rêve, une présence me fait frémir. J'ai l'impression d'être épiée. À présent que je suis à portée de regard du le manoir, il me semble que l'on m'observe.

Je lève mes yeux vers la porte d'entrée. Une silhouette floue se tient sur la dernière marche, le dos droit, un bras plié sur le ventre, l'autre, derrière ; posture des gentlemen.

Le Manoir d'EmeraudeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant