Chapitre 19

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19.

« L'amour est une fleur délicate qui se cueille en douceur. »

George Sand ; Correspondance (1812-1876)

NOLA

Lundi 20 novembre 2017

La pluie de la veille a, semble-t-il, lavé les fenêtres du Manoir. La verrière au plafond de la salle de bal rutile de propreté. Une douce lumière émeraude entre au-travers d'elle avant de se fondre dans l'or clair des sols en marbre. Les carreaux qui étaient brisés à mon arrivée sont à présent si parfaits qu'ils en paraissent neufs. Les feuilles mortes ont été chassées des longs couloirs qui, aujourd'hui, ne sont plus si sombres. D'ailleurs, il me semble presque entendre le son caractéristique des domestiques en cuisine.

Ce jour-là, malgré le froid, je m'installe sur un banc dans le jardin : celui en pierre sous le lilas dont les branches nues tendent vers le ciel avec candeur. De l'autre côté du tronc, le portillon par lequel Margareth passait est soigneusement fermé par quelques tiges d'herbe sauvage.

Les statues, rincées par la dernière pluie, paraissent moins abimées, plus blanches. La nature revit en ce mois de novembre. Des éclats de lumière dansent tout autour du Manoir, comme de légères ballerines en plein ballet. À présent, le domaine Emeraude est presque accueillant.

Assise sur le banc sous le lilas, j'ouvre le roman. Déjà, nous touchons à la fin. Il me tarde de savoir ce qu'il adviendra de Lionel et de Margareth.

JASPER

Mercredi 16 avril 1817

— Vous m'avez demandé, Père ? demanda Lionel en entrant dans le bureau du Duc.

— Oui, venez donc vous assoir ici.

Lionel obéit sagement, sans être tout à fait rassuré. Son père le convoquait rarement dans son bureau. Et ce n'était jamais pour parler tranquillement de choses et d'autres. Hélas, depuis leur entretien avec Batiste Knowlan, Lionel se doutait que son départ pour la France n'était pas une blague.

— Tout a été réglé, Lionel.

— Qu'est-ce qui a été réglé, Père ?

— Eh bien, tout. Votre déménagement en France. Dans le moindre détail. Votre départ a été programmé pour le vendredi neuf mai. Un chauffeur vous prendra au Manoir à sept heures tapantes. Il vous emmènera au port de Douvres. De là, vous prendrez le ferry pour Calais. Là-bas, quelqu'un vous entendra pour vous mener à Orléans où vous logerez dans une pension. La tenancière est charmante ; j'ai pu discuter avec elle. Vous travaillerez pour elle en échange de logis. Par la suite, vous serez libre de votre vie, Lionel.

Lionel écoutait son père, sans savoir s'il devait se réjouir ou s'inquiéter. Bientôt, il serait libre, loin de l'emprise de sa belle-mère et du Manoir. Il verrait enfin le monde, comme il en rêvait depuis des années. Cependant, ce prochain départ signifiait aussi l'inconnu et la solitude. Après tout, il devrait quitter Margareth alors que leurs rencontres secrètes dévoilaient une amitié profonde. De plus, il souhaitait lui avouer ses sentiments, espérant follement que ceux-ci fussent réciproques. Mais alors, quand bien même fussent-ils partagés, Lionel allait partir pour la France. Jamais ils ne se reverraient. À quoi bon l'amour, alors, si la distance les séparaient désormais ?

Le neuf mai, songea Lionel.

Cela lui laissait trois semaines. Trois semaines pour profiter encore de Margareth. Passé ce délai, la Manche les séparerait définitivement.

Le Manoir d'EmeraudeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant