Vendredi soir, en sortant du travail, je jette un coup d'œil à mon téléphone et ce que j'y vois ne m'enchante pas. Hormis les habituels textos de Daryl, je constate que mon père a tenté de m'appeler trois fois depuis le début de l'après-midi. Et c'est plutôt étrange, la plupart du temps nous communiquons par boite vocale interposée. Qu'a-t-il de si important à me dire pour vouloir me parler en direct ? Je décide d'aller faire un tour à moto avant de le rappeler : ça me permet de m'éloigner des rues bruyantes car je sens que je vais avoir besoin de calme pour gérer cet appel. Lorsque je porte mon mobile à mon oreille, quelques tonalités se font entendre.
Pourvu qu'il ne décroche pas...
« Allô ? »
Et merde !
« Allô, papa ?
-Axelle ! J'ai essayé de te joindre ! »
Aïe, est-ce qu'il commence déjà les reproches ? Je retiens un soupir.
« Désolée, j'étais au travail. Je viens de finir.
-Ah, je comprends... »
Un petit silence s'étire entre nous pendant que je cherche désespérément quelque chose à dire. Quelque chose de pas trop débile, et qui ne provoque pas une dispute pour changer.
« Hem...Tu vas bien ? »
Oui, c'est pathétique.
« Oh, oui, tout va bien. Et toi ?
-Ça va. »
Non mais comment c'est possible de n'avoir rien à se dire à ce point ? C'est vraiment ridicule. Quand je repense à notre complicité quand j'étais gamine... Il se racle la gorge.
« Le travail se passe bien ? »
Mon patron est un connard, les clients sont stupides et aujourd'hui j'ai dû nettoyer les chiottes.
« Oui.
-Tu travailles toujours dans ce supermarché ?
-Non, papa, ça c'était avant...ça fait trois mois que je bosse dans un café.
-Ah oui...Mais tu changes souvent aussi. »
Rien qu'à sa voix amère je peux deviner la tête qu'il fait ! Il n'a toujours pas accepté que j'abandonne la fac pour me contenter de petits boulots mal payés. Je lève les yeux au ciel.
« Comment vont les jumeaux ? »
Quels âge ils ont déjà ?
« Ils vont bien. Ils ont fait leur rentrée au collège. »
Déjà ? C'est fou ce qu'ils grandissent vite. La dernière fois que je les ai vus ils avaient à peine 6 ans.
« Simon aime bien les maths, mais Tim préfère les langues. Il apprend le latin.
-Ah. »
Peut-être que mon père digérera mieux mon échec scolaire si ses deux autres enfants sont bons à l'école.
« Sharon va bien, aussi. »
Ah oui, Sharon ! Cette chère Sharon que je ne peux pas voir en peinture ! Je me retiens de grogner pour prendre un ton faussement intéressé.
« C'est super. Et son chien ?
-Lylou va bien. »
Sérieusement, Lylou ?
Est-ce que c'est possible de donner un nom aussi cul-cul à son chien ? Cela dit, je dois admettre qu'il lui va bien ! Et pour cause, ce truc est une horreur frisée que ma belle-mère prend plaisir à coiffer, voire même à habiller ! Ridicule. Heureusement, elle l'a adoptée alors que j'étais à l'université, ce qui m'a évité de trop le voir et donc de le faire passer sous mes roues. Je marmonne :
« Cool. »
Bon, tout ça est vraiment super mais il n'y a rien ici qu'il n'aurait pas pu me dire par message vocal ! Donc, pourquoi s'acharner à m'appeler ?
« Tu voulais me dire quelque chose en particulier ? »
La flemme de prendre des gants ! Honnêtement, j'ai juste envie de rentrer chez moi et aller courir avec Lazslo, histoire de décompresser.
« Euh, oui. Je me suis dit, enfin...on s'est dit avec Sharon, qu'on ne t'avait pas vue depuis longtemps. »
Depuis 15 mois pour être précis.
« Oui...
-Et vu que c'est bientôt ton anniversaire, on voulait venir te voir, à New-York. »
J'écarquille les yeux, surprise. Mais d'où sort cette idée ?? Jusqu'ici mes anniversaires étaient symbolisés par un message vocal et basta !
« Venir...à New-York ?
-Oui...les garçons aimeraient vraiment visiter la ville, et tu sais, cette année Sharon et moi fêtons nos noces d'étain.
-Ah... »
Oui, si j'y réfléchis, en septembre ils seront mariés depuis 10 ans. J'ai l'impression que ça fait 10 siècles.
« Alors un petit voyage à New-York, ça nous ferait du bien à tous... »
Si seulement tu venais parce que je te manque...
La surprise laisse rapidement place à ma déception mais celle ci ne dure qu'un temps avant d'être effacée par le dépit. Qu'est-ce que j'imaginais ? Qu'après tant d'années d'une relation conflictuelle au pire et inexistante au mieux, mon père voudrait soudainement se rapprocher de moi ? Je sais que c'est beaucoup trop tard. Le point de non-retour a été passé lors de ma première année à la fac. La nuit où je lui ai passé ce fameux coup de fil. Je me force à sourire.
« Oui, ça serait super !
-On ne dormira pas chez toi, bien sûr, mais ça sera l'occasion de passer un peu de temps ensemble et de fêter ton anniversaire.
-Ouais. »
23 ans, ça se fête non ?
« C'est une super idée, papa. »
Est-ce que mon angoisse s'entend dans ma voix ? La perspective de me retrouver à passer plusieurs jours d'affilée avec ma famille ne m'enchante pas vraiment. Je me demande qui de Sharon ou moi craquera en premier et lancera les hostilités...en toute logique, ça devrait être moi puisque je suis la plus impulsive mais elle s'est toujours comportée en gamine.
« Alors...on pense venir du 16 au 18 mai.
-Parfait.
-Tu seras disponible ?
-Je dois voir avec mon patron...Au pire, je ne travaille que la journée hein. »
Argh, coincée entre Charybde et Scylla ! Le Meridian ou la belle-mère ! Corneille peut aller se rhabiller, j'ai trouvé le pire dilemme qu'on puisse proposer à un être humain !
« Oui...Bon, je te tiendrais au courant alors.
-D'accord.
-Je t'embrasse, Axelle.
-Moi aussi papa. »
Nous raccrochons en même temps et je pousse un puissant soupir de frustration.
C'est pas un jogging qu'il va me falloir mais un marathon !
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Fire & Gasoline (Terminé)
RomanceOubliez les "tout les oppose mais ils s'aiment", on part sur un gros "ils s'aiment et putain ça va faire mal" Axelle Lyce a 22 ans, elle habite seule à New-York et elle est dépressive. Toute sa vie elle a eu l'impression de n'être qu'une toute petit...