Un soupir manqua au comte quand il réalisa ce qu'il avait redouté depuis toutes ces années. Il plaça sa main droite sur sa poitrine, l'air blessé, et baissa le regard. Comment Louis pouvait-il avoir oublié tout de lui ? N'avait-il pas suffisamment promis de ne jamais déchirer leurs souvenirs, lors de son départ ? Il l'avait pourtant fait. Il en était certain. Il allait l'attraper aux épaules, pour le ramener à la raison et lui crier qui il était, puis se ravisa. Il ne pouvait pas, il n'en avait pas le courage.
-Duc de Dorset, vous me voyez désolé, je dois retourner à l'intérieur. Dit-il le cœur lourd et douloureux dans ses côtes.
-Je vous accompagne, monsieur...
-De Valence, Thomas. Mais je vais me débrouiller seul, je ne suis pas une colombe que vous avez besoin de guider, je connais le chemin. Sa voix était sèche, sans appel, alors qu'il usait de ses forces pour ne pas voir ses genoux céder sous son poids.
-Comme vous voudrez, Thomas. Glissa l'homme à l'allure désinvolte à son oreille, une main perdue sur son avant-bras. N'hésitez pas, si le chemin vous parait trop complexe.
Ce contact, si confiant et étranger, glaça le sang du jeune Harry. Il releva ses deux globes verts en direction de ceux du duc, et le foudroya du regard en retirant brutalement son bras de son emprise, pour finalement s'exclamer, grave, et partir d'un pas vif, de l'énergie qu'il tirait de sa colère.
-Je vous ai dit que je connaissais le chemin ! Il lissa son manteau lors de son départ, et remonta le tissu à son visage, pour effacer la souffrance de celui-ci, en vain. Son tendre ami agissait comme s'ils ne s'étaient jamais connus, comme s'ils n'avaient jamais vécu de douces années ensemble.
Il s'engouffra dans le bal, glissa entre les couples qui dansaient, évita tous ceux avec qui il avait eu une bribe de conversation, mais surtout, évita les membres de la famille royale. Il avait été formellement interdit par sa mère de les approcher. Il fit de nouveau tourner les regards, sa chevelure longue et soyeuse élevait de nouveaux murmures, mais ce qui choquait le plus, c'était la richesse de son costume par rapport à son statut social, qu'on pouvait croire à l'égal de leurs gouverneurs. On jugea son manque de civilité, on jugeait le fait qu'il n'aborde personne, mais scrute la salle entière d'un regard vif. Peut-être devait-il rejoindre Helena, qui l'avait presque convié à la débauche en sa compagnie. Cela lui ferait oublier la dure sensation de solitude, et de trahison qui hantait actuellement son esprit.
Un lourd soupir lui échappa lorsqu'il la croisa, effleurant son bras du bout de ses doigts gantés, et l'invita à danser, pour ne pas dire qu'il lui avait attrapé vigoureusement le poignet. Elle l'avait fixé, l'air agacé, mais la détresse d'Harry devait être si grande dans son regard, qu'elle se radoucit afin de lui céder une valse. Forcément, le brun la passa le regard dans le vide, et réfléchissait à toutes les raisons qu'il pouvait avoir eu de l'oublier, en vain. Avait-il menti durant ces trois années communes ? Impossible, ils passaient leur temps collé l'un à l'autre, et Louis refusait de le lâcher. Pourtant, la douleur était si grande, que sa danse en était plus désespérée encore, on le regardait, lui, et la vitesse qu'il prenait avec sa colombe entre ses bras qui peinait à le suivre, serrant son costume entre ses mains délicates. Mais il refusait de s'arrêter, il voulait continuer de tourner, à sentir le vertige de la fête, l'ivresse de la douleur, couler tout au cœur de lui.
Son cœur se serra de nouveau, alors qu'il soulevait la jeune brune du sol l'espace d'une rapide seconde, et veilla du coin de son œil, à ce que Louis l'ait suivi et le regarde danser. Il voulait qu'il le remarque, il voulait désespérément qu'il le remarque, qu'il lise en lui et se rappelle qui il était. Il le voyait planté là, une main posée au niveau de son ventre, et l'autre pendue le long de son corps. Il voyait son regard brûlant posé sur lui, ses sourcils froncés. Sans doute ne comprenait-il pas la situation, sûrement se demandait-il ce qu'il se passait, mais Harry n'en était que satisfait. Alors qu'il allait tourner de nouveau à s'en rompre les chevilles, sa partenaire s'échappa de son emprise, et le regarda, son nez retroussé, et son regard noir corbeau.
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The Golden Raven • Larry
Tarihi KurguLe comte de Selborne, exilé avec sa mère dans les campagnes britanniques, décide de renouer avec la cour royale, mais c'est sans se douter qu'il va recroiser un vieil ami, Louis, qui a tout oublié de lui, même la couleur de ses yeux. Il décide donc...