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     Deux heures que la pauvre Aliaksandra enchaînait questions sur questions. « Comment as-tu tué Evan ? » « Tu as encore fait de la sorcellerie, sale sorcière ! » Les larmes coulaient depuis deux heures. Déjà deux heures qu'Aliaksandra hurlait son innocence dans la mort du jeune Evan. Comment la Russe aurait pu tuer son meilleur ami ? Comment l'imaginer, même ? Tous les policiers allaient l'interroger.
     Assise seule à une table, main droite attachée à la table par une paire de menottes, les cheveux complètement décoiffés, les yeux rouges et gonflées, les reniflements permanents, Aliaksandra attendait une nouvelle visite, un nouveau policier. Le regard d'Aliaksandra se baladait dans chaque recoin de la pièce, à la recherche d'une sortie, d'une liberté perdue, il y a à peine deux heures. Bien qu'elle soit accusée de tous les mots de cette ville, jamais, elle s'était retrouvé seule dans une salle d'interrogatoire.
     Les yeux d'Aliaksandra se stoppèrent sur la caméra installée face à elle. Une obligation depuis maintenant quelque temps. Tous les interrogatoires sont filmés, en cas d'agression. Mais dans cette caméra, les policiers verront seulement le portrait d'une jeune femme d'une vingtaine d'années, harcelé par les habitants, persécutée par la Paroisse, discriminée à cause de sa grand-mère. Cette femme qui semblait forte face à tout qui finit par craquer devant la caméra, harcelé par des questions. Cette femme craquait devant des photos du corps de son meilleur ami, devant le téléphone qui affichait le message qui ne sera jamais envoyé, ce message qui accablait Aliaksandra pour arranger les choses. « C'est à cause de toi, Alia ! » Quelle horreur, comment la mort de son ami pouvait être de sa faute ? Comment était-elle été à l'origine de la mort d'Evan ? Aliaksandra était persuadée que le message n'était pas d'Evan. Il n'aurait jamais pu dire ça, ce n'était pas possible. Aliaksandra secoua la tête en repensant à ces messages. Bien évidemment, ça ne pouvait pas être le jeune Evan.
     Son regard reprit son petit tour et s'arrêta sur la baie vitrée, situé à sa droite. Elle regarda la vitre qui la séparait d'une salle. Aliaksandra le savait, elle était souvent derrière cette vitre teintée. Elle savait qu'il y avait sûrement quelqu'un derrière la vitre. La jeune femme espérait que ce soit Danny. Dans son regard, elle voulait faire passer un message, espérant que Danny la libère et qu'elle rentre chez elle. Aliaksandra s'imaginait un monde où tout serait normal, où « le travail du soir » ne serait qu'une légende urbaine, où elle pouvait vagabonder dans la rue de la ville, où elle serait appréciée et ne pas rejeter par des centaines de gens. Aliaksandra réinventait sa vie, celle qu'elle aurait aimé vivre. Au lieu d'être enfermé dans cette pièce, menottée à cette fichue table, elle pourrait être assise dans un parc, du Lana Del Rey dans les oreilles, crayon à la main et dessinait la nature si parfaite en automne. Les feuilles rougies, jaunies, glissants des arbres pour rejoindre leurs jumelles pour un dernier voyage. Et si Aliaksandra vivait son dernier voyage ? Et si elle finissait sa vie en prison pour toujours ? La jeune femme se voyait déjà se faire arrêter devant chez elle, menottée avec un mandat d'arrêt, passer devant une cour de justice et prendre au moins trente ans de prison. Toutes ces personnes seraient heureuses de la voir en prison. Aucune visite, personne ne voudrait aller la voir en prison. À cette idée, Aliaksandra préférait encore se suicider sans raison, pour quelque chose qu'elle n'a pas fait plutôt que d'affronter la prison.
     La porte de la sale s'ouvrit, faisant voler en éclats les pensées morbides de la jeune femme. Danny tenait la poignée de la porte, attendant quelque chose. Aliaksandra se rappela avoir été interrogé par le jeune homme dès le début de son arrestation. Une silhouette apparut doucement devant la porte. Josh Woodsbery, le père d'Evan. Aliaksandra se leva d'un coup, faisant tomber la chaise. Elle se tenait debout comme elle pouvait, les mains toujours maintenues. Elle leva la main libre, signe d'innocence.
     « Monsieur Woodsbery, j'y suis pour rien, je vous jure. Je n'ai pas tué votre f- »
     Aliaksandra n'eut pas le temps de finir sa phrase que le shérif leva la main pour la faire stopper. Il fit signe à Danny, qui lui répondit. La jeune femme ferma les yeux, peur de la suite. S'attendant à être emmené dans une autre pièce, son poignet droit fut libéré et son premier réflexe fut de se faire tourner pour faire partir la douleur des menottes métalliques. Aliaksandra venait d'être enfin libéré.
     « Je sais que ça ne peut pas être toi, dit Josh. Tu étais la meilleure amie d'Evan et tu ne peux pas faire ça. Ce n'est pas humain et tu n'es pas une sorcière. »
     Aliaksandra savait très bien que Josh était le seul de la ville à ne pas croire à cette histoire de magie incroyable. Elle était libre et elle ne sera plus jamais embêté avec cette histoire.
     « Je suis désolé pour tout, monsieur. Sincères condoléances, Evan était un garçon incroyable, toujours heureux, voulant toujours aidé les autres, ajouta Aliaksandra en pleurant à nouveau.
     -Je suis désolé aussi. Evan était comme ton frère et il tenait à toi comme tu tenais à lui. »
     Josh fut quelques pas en avant pour prendre la jeune Aliaksandra dans ses bras. Il la considérait comme une fille, celle qu'il n'avait jamais eue. Caressant son dos et ses cheveux, il essayait de réconforter la jeune femme.
     « Danny va te raccompagner et te surveiller. On ne sait jamais avec ma famille et sa paroisse. Danny, préviens-moi au moindre soucis.
     -Oui, monsieur, enchérissait Danny en se mettant au garde-à-vous. »
    Monsieur Woodsbery laissa les deux jeunes gens seuls, à nouveau. Aliaksandra ne décrocha pas un mot, un peu gênée par la scène. Danny se mordit la lèvre avant de souffler.
     « Je suis désolée de vous avoir arrêté, dit-il gêné en se grattant la nuque.
     -Tu peux me tutoyer vu la situation et surtout, tu y es pour rien, tu sais. Tu fais ton boulot, répondit Aliaksandra en esquissant un léger sourire. »

Le fantôme d'HalloweenOù les histoires vivent. Découvrez maintenant