Chapitre 5

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Le soleil arachnéen était comme englouti dans les murs de la maison à cette heure avancée de la nuit tant il faisait encore chaud. Les fenêtres ouvertes de la chambre conjugale diffusaient le parfum du chèvrefeuille mais très peu d'air. Gareth somnolait torse nu, serré contre sa femme. Celle-ci lui caressait les cheveux machinalement, prêtant l'oreille à sa respiration encombrée par les allergies. Le poids inerte de Gareth sur son sein finit par provoquer un inconfort et elle s'en dégagea jusqu'à sortir du lit. Ses pas précautionneux la conduisirent au-dessus de la chambre conjugale.

Arrivée au grenier où la chaleur battait son plein, elle pensa faire demi-tour et se désaltérer. Le rapt du verre de bière lui revint en mémoire alors elle s'immobilisa. Le grenier ressemblait à une salle de danse désertée ; rien du capharnaüm de vieilleries habituelles. Gareth et Charlotte n'aimaient pas entasser les souvenirs ; c'était un couple très moderne. Il y avait un chevalet dans un coin de la pièce proprette surmonté d'une toile vierge. Charlotte avança à pas lents vers le chevalet sous la lumière faiblarde de l'ampoule électrique. Ses mollets bien fuselés lui faisaient mal d'être aussi bien fuselés.

Charlotte prit une profonde inspiration comme elle le faisait toujours devant cette œuvre blanche, blanche à la manière du néant, cette virtualité d'œuvre et expira longuement en la frôlant du bout des doigts. Son attention se reporta d'instinct sur la malle en cuir, centenaire, magnifique à quelques pas de là et dont la souplesse craquante donnait une impression de vitalité contenue, presque effrayante. Un grenier n'est pas un jardin d'enfants, même bien rangé, ce n'est pas un lieu tranquille.

Gareth se tenait sur le pas de la porte, l'air plus perdu que jamais. Charlotte ne l'invita pas à la rejoindre. Elle sortit de la pièce d'un bon pas et l'entraîna à sa suite. Ils se retrouvèrent dans la chambre d'amis inoccupée, lestée d'une porte-fenêtre qui donnait à distance sur la grande ville. La pièce virginale évoquait une chambre-témoin. Accoudés au balcon, mari et femme se perdaient dans la contemplation nocturne du paysage.

-Je me suis toujours demandé ce qu'il y avait dans la malle au grenier. Ta belle malle en cuir.

-Pourquoi ne l'as-tu pas ouverte, Boro ?

L'agacement de Charlotte était palpable. Gareth mettait à tort cet agacement sur le compte de sa scabreuse confession.

-Je ne m'en suis pas senti le droit. Ce sont tes affaires.

-Tu partages bien tes affaires avec moi. Toutes tes affaires. Et puis... je crois que tu sais ce qu'il y a dans la malle.

-Non, je l'ignore...

Un frisson de peur parcourut l'échine du mari. La lassitude le rendait étonnamment sensible.

-Est-ce que tu as envie de peindre en ce moment, Charlotte ? Je pourrais poser pour toi.

-A poils ?

-Si tu veux. Tu me connais assez.

-Je ne suis pas la seule à te connaître assez. Est-ce que ta secrétaire peint quand elle ne...

Gareth fit signe que non. Il n'arrivait pas à croire que sa femme put montrer tant de tranquille ironie devant la gravité de la situation. Il l'avait trompée ! Et l'ayant reconnu, il s'était attendu à la fin du monde. Elsa et lui n'avaient baisé qu'une seule fois, mais la rareté du crime n'innocente pas le criminel. Gareth ne pouvait pas vivre avec ça sur le cœur. Il ne s'était jamais laissé aller à une telle désinvolture en seize ans et des poussières de vie commune. Comment se reconnaître dans le miroir ? Comment faire face à ce double infernal qui lui ressemblait trait pour trait mais dont la noire désinvolture menaçait toute sa vie ? La tranquillité de Charlotte lui coupait le souffle. Elle devait s'en expliquer, ce qu'elle fit enfin sur le balcon de la chambre d'amis.

La Chose et son ContraireOù les histoires vivent. Découvrez maintenant