Chapitre 11

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Tout à la saveur aigre de son souvenir, Gareth tripotait les dessins du peintre. Son téléphone portable, cet objet tellement moderne dans un lieu tellement intemporel vibra contre sa cuisse. Il en ressentit les ondes jusqu'au gland, ce qui lui fit penser à la stérilité. C'était Kakigori qui l'inondait de doux messages. Inonder est un peu fort. Elle continuait seulement de se livrer à leurs petits jeux cryptés, faisant passer les messages les plus érotiques pour de misérables comptes-rendus de bureau.

Sans crier gare, Nathalie se matérialisa derrière Gareth, au seuil de l'atelier. Il prétendit mal ne pas être surpris. La petite femme aux lourds cheveux gris le regardait avec son insupportable indulgence maternelle.

-Je ne suis toujours pas autorisée à faire le ménage dans cette pièce. Monsieur Samuel sait que je me couperais une main avant de jeter quoi que ce soit. Mais c'est plus fort que lui.

-Que seraient les fous sans leurs manies ?

-Comment se passe votre travail, monsieur Gareth ?

-Comme de coutume.

-Ah ! Alors, vous continuez à épater vos collègues !

-Bien sûr, Nathalie.

-Vous êtes combatif. Les lions ne font pas des sauterelles, c'est sûr.

-Je n'ai aucun mérite, Nathalie. Je connais par cœur mes petites affaires. Ça n'a plus rien de créatif, plus de rien combatif. Je suis comme mon vieux dans sa chaise roulante.

-Ne dites pas ça, monsieur Gareth...

-Nous sommes bloqués.

-Ne dites pas ça ! Quand on veut vraiment, on trouve une façon de se débloquer. Votre papa est un peu plus agile de jour en jour. Il n'y a qu'à regarder ses dernières toiles.

-Elles se vendent à combien ses dernières toiles ?

-...

-Pardon, Nathalie. Je ne voulais pas être aussi sec.

-Le dessin que vous avez dans la main, par exemple...

-Oui ?

-C'est vous.

-Moi ? Non, ce n'est pas moi.

-C'est vous !

-Je suis un nain avec une tête de lézard ?

-Un caméléon. Vous êtes un caméléon dans ses yeux.

-Absurde. Mais le trait est puissant. Comment va-t-il, Nathalie ?

-Lunatique. Il sera toujours lunatique.

-Alors comme ça, vous furetez dans ses dessins...

-Parfois, il les cache dans la maison et m'oblige à les retrouver. C'est notre jeu à nous.

A la nuit tombée, les allergies empirent. En prévision, le thérapeute avait lesté son sac de voyage de comprimés mais rien n'y fit. Sabot Land lui pressait les yeux et le nez ; une vraie mandarine à l'aube d'un cocktail. La position couchée embarrassait la fluidité du souffle et de sentir comme Charlotte dormait bien, aplatie de tranquillité, exagérait toutes les mauvaises sensations.

Quelqu'un doit bien sauver les apparences... C'est ce qu'elle avait dit à son beau-père. Quelqu'un doit bien sauver les apparences. La vie officielle au-dessus, la vie excitante en-dessous... La vie officielle au-dessus, la vie excitante en-dessous... Presque le refrain d'une chanson suave. Le Paradis au-dessus de l'Enfer. L'Enfer irrigue le Paradis, c'est ainsi qu'elle voyait les choses, la bonne Charlotte. Mais il fallait maintenir le secret, sauver les apparences du bon ton, du bon ordre et de l'honorabilité. Montrer à tous combien les Galion sont des gens responsables. L'irrigation du bas vers le haut ; était-ce vraiment là l'ultime combinaison ? Gareth savait que sa femme méritait tous les noms sauf celui d'hypocrite.

La Chose et son ContraireOù les histoires vivent. Découvrez maintenant