Chapitre 17

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La tête lourde et les bras meurtris, Gareth quitta la chambre de sa fille et monta aux combles de la maison. La vision fugitive de sa secrétaire s'imposa à son esprit: sa chère Kakigori comme il l'appelait d'après une pâtisserie japonaise. Elsa Malkovich n'avait rien d'une Japonaise mais qu'importe ; les associations d'idées les plus saugrenues divertissaient Gareth depuis la résurgence de sa santé virile. Maintenant qu'Elsa était enceinte de son rêveur d'altermondialiste, Gareth rêvait de la baiser sur une table d'opération en écoutant du didgeridoo.

Elsa rayonnait et ses rondeurs croissantes lui allaient comme un gant. Elle ne montrait plus la moindre trace d'intérêt pour son patron autre qu'un intérêt standardisé. A l'Auberge du Gros Fernand, entre deux voluptueuses mastications, la future maman parlait du futur papa, copilote sur son chemin de roses, en termes très élogieux. Florian était noble, parfaitement incorruptible.

Les petites collègues d'Elsa l'écoutaient avec leur appétit maniaque de séries à l'eau de rose et ne se gênaient pas pour comparer la vaste platitude de leurs conjoints respectifs à l'héroïsme de Florian, tout théorique et enfantin que fut cet héroïsme. Florian en était encore à jeter des cailloux aux policiers, à fumer des plantes sous couvert de chercher Dieu, à maugréer contre les porteurs de cravate, à regretter le temps du silex et de la cueillette des baies, à rêver de boire aux pis des vaches, à rêver de faire caca sur les marches de la Bourse en écoutant du reggae. Le reggae bien sûr ! Florian n'était pas spécial en soi ; mais de s'être fait aimé d'Elsa le rendait spécial.

Gareth ne voyait aucun inconvénient à la voir s'arrondir comme une bonbonne pleine de lait. Il la désirait d'autant plus qu'il haïssait Florian. De la haine froide, la haine qu'on ressent pour un chien galeux qui joue les Saint-bernards. Gareth avait bien essayé de baiser les doigts de sa secrétaire au cours d'un voyage d'affaires en avion, de lui susurrer mille petites bêtises à l'oreille, de l'induire en vanité, rien n'y faisait plus : la coquine était morte sous la femme rangée. Et Elsa avait même le culot d'en rire ! Elle riait de son patron comme on rit d'un gamin trop court sur pattes pour attraper les pots de confitures.

Il arriva sous les combles. Sa femme l'attendait dans le grenier, assise sur sa malle en cuir. Le chevalet était toujours aussi blanc de stérilité. Gareth entra lentement dans la pièce trop propre. Sa femme portait sa chemise de nuit des mauvais soirs, une grande pièce de tissu rose pâle que n'auraient pas reniée ses aïeules deux cent ans plus tôt. Elle n'en était pas moins belle. La gravité est le meilleur maquillage pour une femme déjà belle. Gareth se surprit à la vouloir, là, sur le sol du grenier, déchiquetant son sac à patates rose du 19ème siècle et lapant ses côtes apparentes comme un loup hystérique. Le grenier était éclairé d'une lampe blafarde. Charlotte tenait du bout des doigts son portrait du Kaneda Assoupi. Elle avait l'air d'une folle, une belle folle coiffée à l'improvisade.

-Tu m'as fait une sacrée farce, Boro.

-Est-ce que tu en as ri ?

-Non. Je préfère te voir la cravate nouée autour du front comme Björn Borg. Ça, ça me fait rire.

-Il paraît que la Suède va mal. Les problèmes d'immigration, les problèmes de savoir qui l'on est vraiment, de concilier la chose et son contraire, blablabla...

-On est tous un peu Suédois, c'est ce que tu veux dire ?

-Je n'y ai pas réfléchi, Charlie. Je dis et je fais les choses qui me passent par la tête.

-Ça te réussit.

-Pour l'instant.

-Comment va notre petite Gandhi aux cheveux longs ?

La Chose et son ContraireOù les histoires vivent. Découvrez maintenant