Chapitre 16

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La sollicitude d'Emeline dépassait l'entendement, compte tenu de son âge et de son milieu social. Une fille de près de quinze ans, blanche, jolie comme une princesse de fable et qui n'a qu'à claquer des doigts pour remplir sa chambre de paires de basket, de perfectos et de téléphones, n'est pas vouée à prendre le relai du mahatma Gandhi. Pourtant, cette fille-là de près de quinze ans montrait un intérêt peu commun pour le monde extérieur à son nombril.

On sait tout l'amour qu'elle réservait à son grand-père auquel elle rendait visite seule. Le cas de son petit frère, si brillant à sa façon et forcément si seul, l'accaparait au point d'annuler des rendez-vous avec les copines. Elle passait sa vie à poser des questions, à prêter assistance, à fluidifier les rapports entre les membres de sa génération et les vieux. Emeline était la plus aimée et la moins comprise des filles de son collège. Les garçons, niais d'admiration, en perdaient toute vulgarité. Les jeunes n'aiment pas la différence, mais Emeline possédait une masse de cheveux superbes et un visage impossible à vanner. Le lycée lui mangerait dans la main.

Son père entra dans sa chambre alors qu'elle bouquinait dans son lit. Dès qu'elle le vit, elle amorça de se lever mais d'un geste doux il l'incita à n'en rien faire.

-Tu as encore très mal, papa ?

-Pour ne rien te cacher, oui. Je regrette le temps de nos druides. Une feuille de machin suffisait à recoller des membres.

-Tu devrais aller à l'hôpital.

-Ton crouton de père n'est pas en sucre, Emeline. La vieillesse rend la peau dure...

-... ou durement atteinte.

- Et en plus de tout le reste, il faut que tu aies de l'humour !

-Tout le reste ?

Gareth s'était laissé choir sur la chaise du bureau, ses bras ficelés dans du sparadrap comme du saucisson avarié. Emeline ne se rappelait pas l'avoir déjà vu si las.

-Papa ?

-Oui, ma chérie ?

-Pourquoi est-ce qu'on ne voit jamais mamie ?

-Mamie ?

-Oui, ta maman à toi, Mamie Cat. Elle habite vraiment loin, mais... mais c'est pas une raison.

-Elle te manque ?

-Parfois.

-Ah... Mamie Cat a sa vie. Sa vie au soleil avec son amoureux. Mais elle est aussi connectée que les robots de ton âge. On peut lui envoyer des milliers d'emojis. Tu sais comme elle adore la chaleur des emojis.

-Tu te moques.

-Non ! Oui, un peu. A vrai dire, elle vous réclame beaucoup.

-Je croyais que tu la préférais à Papy Sam. J'ai longtemps cru ça.

-Je n'ai pas de préférence, ma chérie. Est-ce que tu as une préférence entre maman et moi ?

-Non...

-Tu as hésité.

-Non !

-Tu as hésité !

-Non, non, je te jure !

-Je te taquine... ces pitbulls m'ont transmis leur esprit taquin. Mamie Cat... ma mère... m'a toujours surprotégé. C'est la différence avec mon père. Mon père pousserait un enfant bulle du haut d'une colline.

-Et c'est bien ?

-Quoi ? Pousser un enfant bulle du haut d'une colline ?

-Etre surprotégé.

La Chose et son ContraireOù les histoires vivent. Découvrez maintenant