Chapitre 8

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Samuel Galion et son fils n'étaient pas les meilleurs amis du monde. Le plus vieux des deux trouvait l'autre ennuyeux et le plus jeune des deux trouvait l'autre incurable. A première vue, Gareth tenait de sa mère, exception faite de la longueur des cheveux ; elle l'avait gerbé comme le disait son père avec la plus grande élégance. Catherine Galion prétendait simplement que la qualité de son sang primait sur celle de son gribouilleur d'ex-mari.

-Tu n'es pas fini, Samuel. Comment veux-tu qu'un enfant te prenne pour modèle ? Une tâche, voilà ce que tu es.

Catherine aimait son ex-mari d'un amour vache et l'ex-mari le lui rendait point pour point. Tant qu'ils furent ensemble, Gareth les vit plus souvent se tordre le cou, symboliquement et pas si symboliquement, que se faire des douceurs. Les ayant toujours connus ainsi, à se tirer dans les pattes et à se déprécier sous couvert d'humour, il ne perdit pas son temps à s'inquiéter de la force de leur lien. Et d'ailleurs, papa peignait maman et maman acceptait de poser pour papa, parfois même dans le plus simple appareil.

Ces séances spéciales auxquelles le petit Gareth n'avait pas le droit d'assister le rongèrent nécessairement de la plus grande curiosité. C'était sa mère qui ne voulait pas l'y exposer ; Samuel, lui, contournait la prescription en lui montrant discrètement ses dessins. Cela le faisait rire et lui donnait le sentiment de mettre un peu de lui-même dans les yeux de son fils unique. Catherine était une femme grande et sèche comme le serait Charlotte Rochefort, future madame Galion. Elle ne possédait pas de spectaculaires attributs, mais sa langueur inattendue sous l'autorité du peintre avait largement de quoi troubler son propre fils.

Celui-ci finit par blâmer son père de l'amener aux choses du sexe par voie d'inceste en quelque sorte. Ce père n'avait pas de tabous, se promenait à poils pour un oui ou pour un non, adorait un peu trop l'eau de vie polonaise et s'arrangeait toujours pour choquer les amis de sa femme en visite. Il ne daignait pas vivre autrement que par ses propres codes : Gloire au sexe ! Mort aux gens de droite ! Gloire à l'art ! Mort aux conformistes !

Les parents de Catherine étaient des gens très à droite qui ne cesseraient jamais de se demander ce qu'ils avaient bien pu faire au bon Dieu. En grandissant, Gareth en viendrait à mépriser ce père qui le méprisait, le provoquait et insultait son ambition de vivre normalement. Doué d'un indéniable charme, Samuel, qui n'était pas si talentueux au moins aux yeux de son fils, aurait certainement pu forcer le destin en travaillant beaucoup plus dur. Mais il ne perça jamais. Sa grande gueule l'en prévint.

-La peinture est un travail comme un autre, papa. J'ai mis dix ans à le voir. Les neuf Muses n'existent pas. Il n'y a pas d'inspiration. Je te conseille de bosser autant que les pourris de capitalistes que tu détestes !

-Va te faire foutre, Pinocchio. Et continue d'agiter tes petites jambes de bois comme ta mère.

-Au moins Picasso a prouvé que les artistes ne sont pas tous des débiles. Il s'est fait des couilles en or avec ses dessins de cubes d'enfant de cinq ans.

-Bel exemple ! Picasso s'est prostitué comme les autres ! Tant qu'il ramassait les morceaux de cervelle de son meilleur ami pour trouver des sujets, passe encore ! Mais après ? Oh et merde, tu n'y comprends rien, mon pauvre gamin. Va jouer avec ta calculatrice.

-D'accord, papa. Salut, papa.

-C'est ça ! Hasta luego !

Les Galions divorcèrent à l'instant où leur fils unique entra en école de commerce. Non pas qu'il y ait une franche corrélation entre les deux évènements. Catherine avait enseigné l'art de la prudence à son parfait Gareth. C'est elle qui l'avait nourri, elle et l'argent de sa famille, ces fachos de capitalistes. Le saltimbanque n'avait pas dit non, non au confort, non à la vie bourgeoise, non à son atelier coquet plus sûrement rempli de femmes nues que de tableaux de femmes nues. Gareth s'appliqua longtemps à être un homme responsable comme le père de sa mère, un homme d'honneur, un homme définitif, pas une tâche. De toute façon, il détestait cordialement gribouiller.

La Chose et son ContraireOù les histoires vivent. Découvrez maintenant