6-Je déteste l'odeur du sang

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Entre Aurore et moi, j'avais commencé à me demander qui était l'adulte de nous deux. Il était temps que je prenne les choses en main.

"Tes parents ne vont pas s'inquiéter ?" je lui demande, essayant de lui rappeler qu'elle est sous une autorité, que c'est une enfant et qu'elle ne devrait donc pas emmener son psychologue nettoyer ses scènes de crime.

"Jamais", déclare-t-elle sèchement, les yeux fixés sur le bitume gris sous nos pieds.

C'est la première fois qu'elle n'ignore pas une de mes questions, pourtant, j'ai encore l'impression qu'elle évite d'y répondre.

Ses doigts se ferment pour former un poing, sa mâchoire est serrée, et en la regardant, je n'arrive pas a savoir si l'innocence, le sourire que j'ai vu le premier jour est toujours là, quelque part à l'intérieur. Peut être n'a-t-il jamais existé. Peut être que lorsqu'elle souriait, à l'intérieur elle était comme elle l'est maintenant, et que maintenant, à l'intérieur, elle sourit.

Les apparences sont trompeuses, après tout, surtout lorsque l'on parle d'une fille comme Aurore.

Elle s'arrête brusquement, ses ballerines noires frottant contre le béton froid. Nous sommes devant une résidence banale, classique, qui contraste avec la personnalité d'Aurore. Des murs blanc cassé. Quelques fenêtres en bois sur les côtés. Un toit fait de briques rouges. Un petit jardin juste devant une porte en ébène solide. Mais il faut que je fasse attention, comme toujours. Les serpents les plus dangereux sont souvent tapis sous une pierre comme les autres. Et la plupart du temps, ils attaquent quand cette pierre est heurtée.

"Dépêchez-vous. Nous n'avons pas beaucoup de temps", insiste-t-elle.

Aurore pose sa valise au sol, l'ouvre, et en sort un objet qui me paraît étrange au début.
Puis je me rends compte de ce que c'est, qu'il est tenu entre les mains d'une enfant, et qu'il sort d'une petite valise rose bonbon.
Un revolver.

"Aurore! T'es complètement folle! Tu...tu peux pas te balader avec ça !"  je chuchote, mais avec un ton paniqué, ce qui je l'avoue, doit être plutôt comique.

Je n'ose même pas lui demander d'où il vient, et comment elle l'a eu, car je sais que tout ce que j'imagine sera toujours moins effrayant que ce qu'elle me dira.

"Ne vous inquiétez pas, je ne vous le donnerai pas", dit-elle à haute voix, ce qui rend mon chuchotement plus ridicule encore.

Avec ça, elle ouvre la grille en métal vert qui se trouve devant la maison, et entre. Je lui emboîte le pas, essayant de la raisonner, oubliant presque que j'ai donné mon accord pour tout ce qui se passe.

"Là", indique Aurore, montrant du doigt un petit cagibi dans le jardin.
"Certes, ce n'était pas la meilleure possibilité de cachette," réfléchit-elle avant que j'ai l'occasion de dire quoi que ce soit. "Mais il fallait absolument faire croire à un homicide lambda, commis par une personne lambda, sans grande expérience."

Je m'apprête à lui demander si elle ne se qualifie pas comme une personne lambda sans expérience, mais je m'abstiens. Si on compare ce que l'on fait actuellement à fumer une cigarette, un fumeur n'a jamais envie de savoir tous les ingrédients horribles qu'il respire. Et moi, je n'ai pas envie de savoir les ingrédients horribles avec lesquels je collabore.

"Il va falloir ouvrir le cadenas" explique Aurore.

Par ouvrir, elle veut dire saisir une épingle dans ses cheveux blonds, la retirer, s'agenouiller, et commencer à crocheter la serrure.
Je pourrais partir. Maintenant. Appeler la police pour que Aurore soit arrêtée avant de pouvoir publier de vidéo.

"Si vous songez à partir," devine-t-elle pendant qu'elle crochète la serrure, "sachez d'abord que j'ai procédé à une incision du tissu musculaire de mon bras, et que j'y ai placé une carte micro-sd contenant la vidéo. Je pourrais donc facilement la faire passer à un journaliste qui prouverait  votre implication dans l'homicide."

Mon souffle est coupé court, mes lèvres sèches, et je n'arrive pas à articuler quoi que ce soit. Mes yeux, remplis d'incompréhension, la fixent désespérément.

"Un problème ?" Demande-t-elle avec un ton qui me laisse comprendre qu'il ne devrait pas en avoir.

Sa voix est étrange, comme si elle récitait, mais je ne sais pas si cela indique quelque chose, ou si c'est juste son manque d'émotion.

"Je..."

Merde. Même quand je pensais être libre, elle avait toujours un, deux, trois coups d'avance sur moi. Je reste donc, mettant la faute sur la vidéo, mais je me demande s'il n'y a pas une petite part de curiosité, de fascination qui commence à se développer en moi.

"Je..."

Mais ma parole est interrompue par le bruit de quelque chose qui grince. Aurore a réussi à crocheter la porte. La chambre des secrets a été ouverte, et, maintenant je dois m'occuper du cadavre à l'intérieur. Et je n'arrive à penser qu'à une chose.

Je déteste l'odeur du sang.

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Voilà, j'espère que ça vous a plu! N'hésitez pas a laisser votre avis en commentaire. Aurore bluffe-t-elle, ou est-elle aussi déterminée a garder Etienne a ses côtés qu'elle le dit?

Zoubis,
Et n'oubliez pas,
Nous ne sommes qu'un mélange d'atomes.
:)

AUROREOù les histoires vivent. Découvrez maintenant