8-David et Goliath

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J'ai déjà eu peur dans ma vie.
J'ai déjà été paniqué dans ma vie.
J'ai déjà fait des conneries dans ma vie.

Mais je crois que je ne j'ai jamais ressenti une telle peur, une telle panique, et fait une aussi grosse connerie que maintenant.

Nous sommes partis avant que la police puisse nous arrêter, et nous avons fui, dans la direction opposée aux bruits de leurs cris.
Sans vraiment y réfléchir. J'ai juste laissé mon instinct prendre le dessus de moi-même, comme j'ai laissé Aurore m'amener jusqu'ici.

Elle court devant moi à présent, une de ses ballerines étant tombée, tirant sa valise au bout d'un bras maigre, ses cheveux en pagaille.
La robe rouge qu'elle porte est couverte de sang, son front est tâché de ce liquide carmin, juste au-dessus de son œil vert, contrastant drastiquement avec son visage de poupée porcelaine et ses cheveux de neige. Elle a l'air d'une apparition surnaturelle, comme si on avait condensé toutes les folies du monde dans un corps d'enfant.

Je n'entends plus le bruit des pas des policiers, mais peut être que ma respiration saccadée le couvre.
Je m'arrête.
Mon cœur bat vite et si fort que j'ai l'impression que ma cage thoracique va exploser. Mais je m'efforce de respirer calmement.

Nous sommes face à une voiture, une Sedan noire aux vitres teintées. Aurore s'en approche, remettant ses boucles blondes en place. Avec attention elle l'observe, et je sens que quelque chose se forme dans son esprit étrange, un plan, une manigance. Et malheureusement, je vais devoir en faire partie.

"Il nous faut absolument un véhicule pour nous enfuir. Le chauffeur de cette voiture doit avoir une quarantaine d'années. On pourrait lui voler ses clés", observe-t-elle, sans grand intérêt.

Je n'y crois pas.

"En plus d'homicide, de possession d'arme, tu veux ajouter vol de voiture à la liste?"

"Vous voyez une autre possibilité?", rétorque-t-elle en me fixant.

Elle s'approche de moi, ses yeux plongeant dans les miens. Elle saisit ma main et la place sur sa joue, puis la remonte jusqu'à son front, là où son visage est taché de sang.

"Quand je vous ai demandé d'appuyer sur la détente, vous ne l'avez pas fait. Pourquoi?"

J'hésite pendant quelques secondes, ne sachant pas si c'est par honneur ou égoïsme. Je sais juste que mon doigt a refusé de la tuer. Mon doigt. Je le désigne comme coupable, car je veux me dissocier de mon corps, de mon être, qui me paraît étranger depuis que j'ai rencontré Aurore.

"Parce que vous tenez à moi?", demande-t-elle, ma main toujours placée sur son front. "Parce que vous avez envie que je reste en vie? Parce que vous ne trouvez pas éthiquement correct d'assassiner une enfant sur sa scène de crime? Peu importe les raisons, vous ne l'avez pas fait. Et donc, vous vous êtes engagé à m'aider. Surtout que, maintenant, le revolver est braqué sur vous aussi."

Après ça, elle enlève brusquement ma paume de son front, et donne un coup de pied dans la voiture. Dès que sa jambe heurte la carrosserie, une sonnerie stridente se met à retentir, et, par réflexe, je me mets à courir.

"Restez", ordonne Aurore d'une voix ferme.

Elle place ses petites mains au niveau de mon torse, et en se mettant sur la pointe des pieds elle me fait comprendre que je suis trop grand, alors je m'abaisse à son niveau.  Elle se penche par-dessus mon épaule, et place son visage près du mien.

"C'est l'heure de faire vos preuves", me susurre-t-elle. "Il nous faut cette clé."

Elle saisit sa valise rose bonbon, et s'éloigne. Je la regarde désespérément, mais elle m'ignore, comme à son habitude. Je sais que je ne vais pas pouvoir refuser sa demande, car j'ai refusé de la tuer. J'ai signé un pacte avec le diable, avec une encre du sang qui n'a pas coulé.

AUROREOù les histoires vivent. Découvrez maintenant