13-Il est trop tard pour rêver

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Merde.
Si je reste, je m'assure du fait que dans quelques minutes, la personne qui entrera ne sera pas vêtue d'une blouse, mais d'un mandat d'arrêt et d'un badge de policier.
Merde.
Pendant quelques secondes mon corps et mon esprit sont complètement paralysés. Ma main se glisse autour du vase qui contient les fleurs affreuses sur ma table de nuit. Avec un râle de fureur je le lance en direction du mur, où il se brise, éclaboussant le blanc, les fleurs abandonnées au sol.

Merde.

Il faut...il me faut la voix d'Aurore car sans elle je suis un enfant, perdu dans un océan de doutes, qui vient de découvrir qu'il ne sait pas nager.

"Aurore? Je fais quoi? Aurore!"

Une larme glisse le long de ma joue couverte de plaies, qu'elle m'a infligées, une goutte de désespoir qui sillonne à travers un labyrinthe, qui l'explore, à travers les chemins qu'Aurore y a tracé au couteau, pour tomber sur le ravin de mon menton.

"Je ne peux rien faire pour vous, Étienne." Soudainement j'entends des paroles, une plume de quelqu'un d'autre sur une page qui n'est que trop vide. Aurore.

Je lève la tête, et elle est la, en robe blanche qui se camoufle dans le mur.
Je ne sais pas comment c'est possible, et mon unique œil peine à voir un sens dans la petite fille qui de dresse devant moi.
Sa main passe dans mes cheveux en pagaille, les caresse, et brutalement, froidement, attrape le tube en plastique enfoncé dans mon bras, et le tire hors de mon corps.
Mes dents se serrent, et peu à peu une douleur incontrôlable et incontrôlée prend possession de moi. Mon esprit dépend peut-être d'Aurore, mais mon corps dépend de ce fluide.
Alors pourquoi fait-elle cela? Une sorte de jalousie envers le contrôle total qu'elle n'a pas?

"Je ne suis pas guéri"

"Je sais. Moi non plus.."

Mais ce son ne provient pas d'une bouche. Car il n'y en a plus. Aurore a disparue, aussi vite et étrangement qu'elle était arrivée. Mes yeux, des charognards d'information, cherchent sa présence le long des murs. Mais je ne suis que face au blanc. Il est trop tard pour rêver, pour fixer les murs avec l'espoir d'un petit psychologue.

Alors, avec un effort surhumain dans tous les sens du terme, je place le poids de mon corps ou ce qu'il en reste, sur les deux brindilles qui doivent être mes jambes.

Pieds nus, en tenue d'hôpital, un bandage autour d'une tête qui me supplie de me rallonger, je saisis un bout du vase décomposé sur le sol. Comme Aurore, lentement, comme la peinture de guerre de la folie, je coupe légèrement la paume de ma main, et étale le sang qui en sort sur mes lèvres. A présent je suis un vrai monstre. Donc les actions que je peux faire, les choses que je peux dire, ne sont pas humaines, ne sont pas Étienne, mais quelque chose de bestial que l'on peut excuser par l'étrangeté. En tout cas je l'espère.

Je ne peux pas retrouver la personne qui m'attend. A la place, mes doigts entreprennent une danse morbide avec la poignée de la porte étonnamment déverrouillée, et tirent sur celle-ci. Elle s'ouvre. C'est parti.

Je me mets à marcher, puis à courir, sans respirer, le long du couloir. A ma droite, une fenêtre, à ma gauche, une femme de ménage qui pousse un hurlement perçant à la vue de mon visage. Dans un choix du moins pire, je m'approche de la fenêtre que je ne parviens pas à ouvrir dans mon agressivité. Il faut que je souffle, que je me calme, mais c'est aussi dur que de se forcer à ouvrir ses poumons sous l'eau.
Expire, déverse tout, vide toi car tu ne pourras plus.
Inspire, prends des réserves du souffle stérile de l'hôpital.

La fenêtre se laisse faire. Et je me laisse grimper, regarder les quelques mètres qui me séparent du sol, et tomber.

Il est trop tard pour rêver. Le cauchemar a déjà commencé depuis longtemps.

AUROREOù les histoires vivent. Découvrez maintenant