16-Je déteste toujours l'odeur du sang.

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"Quoi?" s'étrangle l'homme aux yeux bleus au-dessus de moi.

"Je crois qu'Aurore a essayé de me tuer." J'articule platement, d'un ton neutre comme Aurore pourrait avoir. Ça me dégoûte, la personne que je regarde par le miroir de ma conscience me terrifie.
Je crois que dans cette forêt, quand elle m'a éborgné, elle ne voulait pas agir par réflexe. Elle ne voulait pas simplement se défendre face à l'adversaire qu'elle imaginait en moi. Elle voulait ma mort.
Et dans cette voiture, ce n'était pas elle, mais presque. Presque, comme la voix qui était presque la sienne. Qui lui ressemblait, certes, mais qui n'était pas elle.

"Aurore? C'est elle qui m'a dit de te trouver ici," déclare-t-il, les sourcils froncés.

Je comprends mieux. C'était lui qui m'attendait à l'hôpital, qui est à l'origine de tout.

"C'était toi, dans la salle d'attente." Je ne demande même pas, j'affirme en souriant, rassuré.

Ses sourcils se froncent encore plus, s'entortillent sur son front sur lequel perle une goutte de sueur.

"Étienne, tout va bien ? Je ne savais même pas que tu étais à l'hôpital."

Mon cœur manque un battement. Quant à lui, le sien bât trop vite, et il passe sa main dans mes cheveux châtains frénétiquement.

Alex était tout sauf discret. Il vivait dans l'instant présent, et parlait fort, des mots forts, assumés. C'était la définition d'un bon vivant, et en le voyant comme ça, je m'en veux terriblement. Il a tout oublié, sa confiance, ses doutes, et je peux m'empêcher de vouloir en profiter. Je me dégoûte.
Sans réfléchir, mes lèvres s'agrippent aux siennes, parce que je l'aime tout de même, et ses doigts s'entortillent furieusement autour de mon cou. Mais c'est un terrain qui appartient à Aurore, et je le sais très bien, alors lentement je m'éloigne de lui.

"Tu ne m'en veux pas pour...?" je commence, sachant très bien qu'il comprend. Car quelques jours je l'ai vu partir de ma voiture, énervé par ce que je n'étais pas pour lui.

"Non, Étienne, c'est le cadet de mes soucis." Réprime-t-il en secouant la tête.

Pour certifier cela, il se penche au-dessus de mes lèvres, et y dépose un baiser.

"Je me fous de savoir si tu es innocent, coupable, qui est Aurore et ce qu'elle te veut, ou n'importe quoi d'autre. Oui, j'aime la justice. Mais je t'aime plus."

Mes lèvres forment un 'je t'aime' en retour, mais j'arrive à peine à le murmurer. Je sais très bien que quelque chose ne va pas, que je suis entouré d'un quelque chose omniprésent, qui me fait peur. Et ses lèvres ne m'en tirent pas.

Alex tourne légèrement la tête, plusieurs fois, inquiet.
"Merde, Étienne, il faut qu'on y aille!" me presse-t-il soudainement, ayant sûrement retrouvé ses esprits, ou au contraire les ayant perdu.

"Et la cabine ? Et Aurore?"

Pour seule réponse il prend mon bras et le tire afin de m'aider à me lever. Malgré tout, il forme un sourire, peut-être pour remplacer le mien. Lentement, avec ma crainte et son courage, nous avançons le long de la route. Les maisons deviennent de plus en plus rares, les mots aussi. Lui qui est d'habitude plein de paroles ne fait que fixer le sol, jusqu'à que celui-ci se compose de terre.
Les arbres. La boue. Les tas de feuilles. Aurore.
Merde. Elle me manque.
"Étienne?"
Pendant un moment je crois entendre Aurore, mais ce n'est qu'Alex qui me serre la main nerveusement.
"Quoi?" Je demande, avec une agressivité qui découle d'une déception.
"J'entends quelqu'un. Quelque chose."
Il me dévisage, à la recherche d'une réaction quelconque. Puis ses bras se croisent, ses lèvres se pincent, et son courage revient.
Nous ne faisons que quelques pas avant que je l'aperçoive. A chaque mètre qui la rapproche de moi, elle devient de moins en moins fantomatique, ou plus, je ne sais pas vraiment. Je sais juste qu'elle n'est pas presque, qu'elle n'est pas morte, qu'elle n'est pas innocente.
Ses mains sont couvertes de sang, le sien, et elle me regarde froidement, comme une peinture ou une statue grecque qui peinerait à devenir humaine. Elle est vêtue d'une robe noire, ses cheveux entourés d'un bonnet rouge, qui rappelle la tâche au niveau de son flanc. Alex se place devant moi, son bras serrant le mien avec une force fébrile.

"Aurore?"

AUROREOù les histoires vivent. Découvrez maintenant